Éleuthère

Olivier Sedeyn Yoga, Chant, Vers la Sagesse

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De la tristesse, du malheur

Une lettre à une amie « triste »

La tristesse, le malheur, la déprime. La condition humaine, tout simplement. Le Bouddha (ce qui signifie « l’éveillé ») a dit « Tout est souffrance », tout dans la vie humaine est souffrance parce que, comme le dit joliment Montaigne dans un petit « essai » « Nous ne goûtons rien de pur » autrement dit, nos plus grands plaisirs sont mêlés de douleur et lorsque nous souf­frons le plaisir peut ne pas être si loin qu’il le semble. En tous cas, il est clair que la fin d’une douleur donne un certain plaisir.

Telle est la condition humaine. 

Mais le Bouddha a dit aussi — comme tous les grands maîtres spirituels, « il y a une voie pour sortir de la souffrance ». Car la condition humaine est aussi de ne pouvoir accepter la souffrance, de ne pas s’y résoudre, de ne pas s’y résigner, de vouloir en sortir, de vouloir être heureux, vraiment heureux. Et si nous sommes souvent dans le malheur, nous connaissons aussi la joie, même si elle ne dure pas. Nous croyons souvent à tort que « les autres » ne connaissent pas la souf­fran­ce qui est la nôtre, que personne ne souffre comme « moi ». En ce sens, la souffrance est « égoïste », elle est aspi­ra­tion à ce que les autres nous aiment, se tournent vers nous, à ce que j’obtienne ce que je veux, moi, le bonheur, la joie, le plaisir. « Personne ne m’aime » dit l’ego à l’intérieur de nous, et il dit aussi que je ne suis pas responsable, mais que ce sont les autres, le monde, la société, voire Dieu même, qui sont responsables de mon mal­heur. Et j’en fais ainsi aussi les respon­sa­bles possibles de mon bonheur et donc je me tourne vers eux pour qu’ils me rendent « heureux ». 

C’est là l’erreur. Le bonheur ne vient pas des autres, il ne peut pas en venir. La sa­gesse (et l’intelligence) me dit au contraire: « tu es responsable de ta vie, de tout ce qui t’arrive et, si tu reviens en toi-même, si tu réfléchis, si tu apprends, tu connaîtras la joie. » Car, lorsque j’ai installé le bonheur en moi, les autres me le renvoient aussi. 

Il faut revenir en soi-même, dans cette solitude royale où je suis au calme, et ex­plorer, observer. Se connaître, démasquer tous mes faux-semblants, tout ce qui en moi n’est pas vraiment moi. Et c’est là que je rencontre le calme, l’abandon, l’espace intérieur immense, l’amour sans limite. 

De là, je reviens vers les autres, je suis « avec » les autres. Et, parce que je suis dans l’amour, parce que je suis amour, je donne de l’amour. J’en donne « en veux-tu en voilà », sans souci de possession, pour le seul plaisir de donner. 

Mais je reviens au malheur. 

La seule forme universelle du malheur, c’est le manque d’amour. Et plus encore, la source la plus courante, la plus concrète, la plus évidente, du malheur, c’est le manque de faire l’amour, c’est le manque de plaisir dans la relation d’amour physique. Au fond, tu le sais et nous le savons tous. Mais je le sais d’autant mieux que j’ai connu un tel plaisir, une telle union. Tant que je ne l’ai pas connu, c’est comme une repré­sen­tation, un fantasme, une aspiration vague et en même temps que j’y crois, je doute que ce soit possible (mais cette aspiration est vraie, elle est fondée dans la nature des choses). Et la société nous pousse à ne pas regarder cela en face. Ou à le considérer de façon technique. Ou à égaliser l’amour « nor­mal » entre la femme et l’homme et l’amour entre femmes ou entre hommes, ce qui désoriente encore davantage les jeu­nes gens qui ne savent plus quoi faire. Une union homosexuelle est fondamenta­le­ment stérile (sur tous les plans) et tous les con­tournements par la technique n’y fe­ront rien.

Il faut bien faire l’amour physique, mais bien faire l’amour, cela implique de l’a­mour et donc que l’on n’oppose pas le dé­sir sexuel et l’amour. C’est la forme pre­miè­re de l’amour, c’en est la forme fonda­mentale, première sur cette terre. C’est d’un faire l’amour que nous sommes ici tous issus et toutes issues. Je viens de là, c’est mon origine. Même si j’ai aussi une origine qu’on peut dire « céleste ». 

     Car il est vrai aussi que l’amour est plus et autre chose que le désir sexuel et que si le désir sexuel est l’origine de mon corps, ce n’est pas l’origine de mon « âme », ou de mon être le plus profond. Mais je suis un être incarné, je ne suis pas un pur esprit (gardons toujours à l’esprit ce mot de Pascal : « L’homme n’est ni ange, ni bête, et qui veut faire l’ange, fait la bê­te. ») Il faut donc que je connaisse l’ac­com­plissement sur le plan physique pour pou­voir me tourner sainement vers le spirituel. Sinon, je n’ai qu’une vision tron­quée de la vie. 

     Je reviens sur la question de l’homo­sexualité pour tenter de me faire mieux com­prendre. Il peut certes y avoir de l’a­mour entre deux hommes ou deux fem­mes, c’est parfaitement clair. Sim­ple­ment, nous avons un corps sexué et cela nous identifie et détermine la voie de notre accomplissement sur le plan physique. Vouloir changer de sexe, se dire « inter­mé­diaire » ou « autre » ou « trans », c’est pren­dre un fantasme pour la réalité, c’est voir les relations humaines d’un point de vue « technique ». Je « peux » changer de sexe. La technique, la science, nous fait croire que beaucoup de choses sont possibles. Beaucoup, certainement. Tout, certai­ne­ment pas. Et la réalité des corps fait que le corps de l’homme est fait pour le corps de la femme et inversement. Ils sont destinés par leurs corps à s’unir. Et l’accom­plisse­ment de l’amour physique ne saurait être ressenti entre deux hommes et deux fem­mes. Bien sûr, on le prétendra, dans l’ab­strait. Et qui pourra le prouver ? En fait, seuls les femmes et les hommes qui ont vraiment connu l’accomplissement de l’a­mour physique pourront dire ce qu’il en est vraiment. Ils gardent cependant le silence, car la vérité n’a pas besoin d’être pro­cla­mée si elle est vécue. Et comme beaucoup de gens sont frustrés sur ce point, ils seront peut-être en petit nombre. Peu importe. 

Si tu comprends que tu as besoin de bien faire l’amour avec un homme, tu apprends à le faire de mieux en mieux et l’amour devient une voie de connaissance de soi. 

Mais l’amour n’est pas possession, il est don. 

Tu as donc toutes les cartes en main. Sauras-tu jouer au jeu de la vie ? Et dépas­ser le malheur tout en acceptant la con­di­tion humaine. 

En amour, 

Olivier

Sur l’amour et la maturité, le basique et l’essentiel

Une lettre à une amie:

Quelques observations après notre entretien téléphonique. 

En tant qu’animal humain, de quoi avons-nous besoin? Lorsque nous aimons, qu’aimons-nous? Basiquement, nous avons besoin de chaleur humaine, de câlins, de faire l’amour. Et comme nous avons besoin de cela, nous avons besoin de nous attacher celle ou celui qui nous en donne. De là les unions, officielles ou non, de là tous les couples. 

C’est important, c’est basique. Est-ce essentiel? Se poser la question. 

Il est bon de rencontrer l’autre sexe, de partager avec lui, de faire l’amour, le mieux possible, le plus intensément possible. En un sens, c’est une nécessité, c’est équilibrant, cela fait circuler l’énergie, cela fait cesser le manège du mental et bien des souffrances avec lui. Il faudrait donc pouvoir faire l’amour facilement, légèrement, pour le plaisir, comme des animaux qui se rencontrent, s’accouplent et se séparent, mais avec l’intelligence et l’attention d’un être conscient. Qu’est-ce qui empêche de se comporter ainsi? La plupart du temps, des « théories » plus ou moins fumeuses et plus ou moins « morales ». La morale, où faut-il se la mettre !? Amusant de voir notre époque fondamentalement immoraliste d’un côté, implorer l’observance de la morale de l’autre. Un peu comme les homos qui veulent qu’on les respecte, qu’on soit gentil avec eux, qu’on leur donne des droits ! Des droits, des droits ! Un « droit à l’amour », garanti, comme on a, paraît-il, un « droit au logement » ? Ce droit-là, bien « gauche », serait contradictoire à un autre « droit », le droit à la liberté. Mais peut-on avoir « droit » à la liberté? La liberté ne se conquiert-elle pas, toujours, et d’abord à l’intérieur, contre ses propres faiblesses, ses propres refus d’être libre, c’est-à-dire adulte ?

L’essentiel, qui n’est pas le basique : Grandir, devenir plus conscient, moins moutonnier, moins bête, plus riche de son humanité, de sa divinité, de sa force, de sa créativité. Devenir le divin que l’on est. Pas cet être dépendant qu’est celui ou celle qui demande. Et qu’y a-t-il de pire, et de plus avilissant qu’une demande d’amour. Je suis amour, qu’ai-je à faire de le demander? Je le donne, je n’ai pas besoin d’en recevoir parce que je sens que j’en reçois. Je suis suffisamment riche pour donner, et mon don est tellement riche qu’inévitablement, j’en reçois. N’en ai-je pas conscience? Je dis alors que l’on ne m’aime pas, que je n’ai pas d’amour. Vérité ou mensonge?

L’essentiel? Grandir, mûrir, refuser toutes les sécurités trompeuses. Et le couple, n’est-ce pas justement une telle sécurité? Ne sentons-nous pas quelquefois lorsque nous nous habituons si agréablement à la présence d’un autre dans notre lit, contre nous, au plaisir que nous avons à nous frotter contre lui, que cela nous endort ? Que cela ternit l’éclat de notre amour ? Que cela nous conforte dans ce que nous sommes déjà, en fermant les yeux et les oreilles à l’appel du dépassement de soi ? L’amour est dépasse­ment de soi, pas confort et réconfort.

J’ai senti tout cela. Je refuse les sécurités. Je n’attends pas qu’on m’aime. L’amour est abondant, en moi et partout, je n’en manquerai jamais. C’est « moi » qui m’enfermerais plutôt dans la pensée qu’on ne m’aime pas. Et cette pensée est mortifère et servile. 

Est-ce que je veux être un esclave? Non, je veux être un maître, non pas d’un autre, ou d’une autre, ou de mille autres, mais de l’esclave qui est en moi, je veux dire ma petite personnalité défensive et défiante. Et je ne veux ne pas me laisser asservir par ses besoins d’esclave. 

Qui parle ici, moi, toi, ou l’être vivant dans l’être humain qui ne veut pas être l’être mort et asservi qui demande, l’être vivant qui ne veut pas se laisser tuer par les conventions et les discours conformistes, bien pensants, gnan-gnan et tristes ? 

Souvenez-vous avec gratitude de ceux et de celles que vous avez aimés.

Qu’est-ce qui, en nous, est « vrai »?

Qu’est-ce qui en nous est vrai? Notre attitude, nos opinions, la manière dont nous nous affirmons? Ou l’être profond, quelquefois serein et paisible, mais souvent triste, souvent malheureux, presque toujours blessé, qui se sent vulnérable? 

L’attitude, la pose, que nous adoptons envers les autres, notre attitude extérieure nous sait vulnérable, même si elle nous empêche d’en être conscient ; et qu’elle cache cette vulnérabilité. Mais le masque sait qu’il est un masque. Et j’en suis aussi quelquefois conscient, n’est-ce pas ? 

Et pourtant, c’est cette vulnérabilité, cette sensibilité, qui fait de nous des êtres humains vivants, et non morts. Quand l’attitude aura tout cuirassé, quand je serai devenu identique à l’image que je me fais de moi, à l’image que je construis de moi et que je projette au dehors, pour les autres, je serai bien mort, même si je ne suis pas encore dans la tombe. Quelqu’un m’a dit un jour, aux premiers temps de mon « apprentissage », alors que j’exprimais ma souffrance: « ce sont tes faiblesses aussi qui te rendent aimable ». Cela m’a surpris, et cette phrase n’a pas cessé depuis de mûrir en moi. 

Ecouter cette vulnérabilité, l’accepter en soi, l’observer, voir quelles indications elle donne sur mon désir, mes aspirations, mes frustrations aussi. Si je les regarde elles aussi, je vois au-delà; je vais déjà un peu au-delà.

Où donc ? 

Vers le contentement. Pas la satisfaction, le contentement. Il faudrait, nous devrions, être toujours content. Content de ce que nous avons, de notre sort, content de vivre. Soyez contents, mais jamais satisfaits, repus, prêt à dormir d’un sommeil encore plus profond, encore plus lourd. Sachons donner notre bonne nature, c’est-à-dire notre sourire, notre amabilité, notre gentillesse, plutôt que notre mauvaise humeur, notre colère et toutes nos émotions négatives. Nous sommes responsables de l’effet que nous faisons sur les autres. Avez-vous jamais senti l’effet de la colère, rentrée ou pas, d’un autre sur vous? Avez-vous senti l’atmosphère que quelqu’un de mauvaise humeur diffuse autour de lui? Et au contraire, vous avez certainement senti la légèreté, la joie, la facilité et la douceur de quelqu’un qui vous parle gentiment et qui donne ce que j’appelle « sa bonne nature »? C’est ce que donne sans jamais y penser, tout naturellement, un enfant paisible. Cela n’a rien de gnan-gnan ni de cul-béni. Nous devrions agir en conséquence. Maîtriser nos émotions négatives, ne pas les exprimer extérieurement, mais les observer ; et manifester autour de nous notre joie et notre amour. Cela aussi s’apprend. Par la pratique, par l’exercice, par la vigilance constante, de plus en plus constante. Par le nettoyage intérieur, la purification de l’ego.

Olivier Sedeyn

le philosophe et l’historien de la cabale, correspondance entre Leo Strauss et Geshom Scholem

http://www.lyber-eclat.net/livres/cabale-et-philosophie

Gershom Scholem et Leo Strauss

La correspondance entre Gershom Scholem (1897-1982) et Leo Strauss 1899-1973), qui s’est étendue sur une quarantaine d’années, donne l’occasion de comparer deux esprits qui doivent sans doute être rangés au premier rang des penseurs du XXe siècle. Elle constitue un élément pour mieux connaître leurs pensées, qui pour l’un comme pour l’autre, reste un sujet de controverse. Compte tenu de leurs différences manifestes, on ne voit pas très bien au premier abord ce qui a pu les réunir et néanmoins ils ont été amis et pas seulement semble-t-il pour les raisons mystérieuses et insondables des affinités non électives. Le premier a consacré toute sa vie à l’étude de la cabale[1] et donc à des « choses juives », donnant à la mystique juive une place dans les études historiographiques et religieuses académiques qu’elle n’avait pas avant lui ; tandis que le second semble d’abord avoir consacré toute sa vie à l’étude et à la redécouverte de la philosophie politique classique ou à l’énigmatique « problème théologico-politique ». Mais Strauss, comme Scholem, était juif et, s’il n’était pas croyant, comme la correspondance en témoigne, il n’a pas cessé de réfléchir au « problème juif » et il était attentif au défi lancé par la révélation au philosophe, et en outre, il a présenté « le problème théologico-politique » comme l’objet constant de ses études. Le jeune sionisme rencontrait alors profondément la question des racines religieuses, bibliques, du peuple juif, que le sionisme « politique » et même le sionisme « culturel » tendaient à vouloir marginaliser, ou « humaniser », par adhésion au modèle de l’Etat national et libéral qu’ils voulaient réaliser pour les Juifs[2]. Il se pourrait que la réflexion sur le problème théologico-politique soit identique chez Strauss à la philosophie politique dans la mesure où la « théologie » est inséparable de la politique, en dépit justement du credo libéral ou « laïc ». La « philosophie politique » n’est pas réductible, sous la plume de Strauss, à la simplicité de ce que laisse entendre immédiatement cette expression[3]. Comme le dit Seth Benardete, « l’expression de philosophie politique est un oxymore »[4] ; la philosophie politique au sens de Strauss, c’est le problème de la philosophie politique, le problème de la philosophie et de la politique, et ce problème est inséparable d’une lecture entièrement nouvelle de la philosophie politique classique, c’est-à-dire de Platon et d’Aristote, disciples de Socrate. Enfin, pour revenir à leurs relations, Scholem et Strauss, d’un âge très proche, se sont tous les deux engagés très jeunes dans le sionisme politique et ils ont tous les deux manifestés l’indépendance de leur esprit en particulier dans la critique des tendances « philistines » incarnées en particulier par Max Nordau[5] et des tendances au subjectivisme et à un judaïsme affectif, fondé sur « l’expérience vécue » (Erlebnis), incarné principalement par Martin Buber[6]. Cet engagement sioniste n’a jamais été radicalement remis en cause. « La création de l’Etat d’Israël (…) a été partout une bénédiction pour tous les Juifs, qu’ils le reconnaissent ou non[7]», (Strauss) ; Scholem, lui, a émigré en Israël en 1923, sans jamais revenir sur cette décision, en dépit de ses inquiétudes devant la réalité israélienne[8].

Leurs biographies

 

Scholem est né dans une famille petite bourgeoise de Berlin, un milieu assimilé et « tiède » avec lequel il rompra rapidement et résolument. Il se passionne dès l’âge de quatorze ans pour l’étude de l’hébreu et du judaïsme, connaissances dont il devient assez vite (trois ou quatre ans plus tard) un spécialiste reconnu. Il prendra tôt, par une inclination naturelle pour l’anarchisme et un certain romantisme révolutionnaire[9], des positions opposées à la guerre qui lui vaudront d’être exclu du gymnasium. Il suit ensuite à l’université des cours de mathématiques (une discipline qu’il pratiquera jusqu’à envisager un temps de préparer un doctorat et de devenir professeur) et de philosophie aux universités de Berlin, de Iéna et de Berne. Puis il se décide à passer un doctorat sur la cabale à Munich (en 1922). Ces années (1915-22) sont aussi celles où il contracte avec Walter Benjamin une amitié ardente et passionnée, profonde et déterminante[10]. À partir de 1923, il est en Israël, où il devient à partir de 1925 bibliothécaire, puis chargé de cours en 27, puis professeur à partir de 1932) à la nouvelle université hébraïque de Jérusalem, où il va enseigner jusqu’en 1967. Il ne cesse de publier des études et des livres, dont les plus célèbres sont Les grands courants de la mystique juive (1941, traduction française Payot, 1950), Les origines de la Kabbale (1948, traduction française Payot 1966), La Kabbale et sa symbolique (1960, traduction française Payot 1966), ainsi que les six volumes des Judaica.

Strauss est, quant à lui, né dans une famille de juifs commerçants vivant dans la campagne de Hesse, d’assez stricte observance et d’assez peu de lumières[11]. Il s’est engagé lui aussi très tôt (à 17 ans) dans le sionisme politique. Il a lui aussi suivi à l’université des cours de mathématiques, de science naturelle et de philosophie et il a passé un doctorat de philosophie (en 1921) à Hambourg sous la direction de Ernst Cassirer. De 1921 à 32, il publie régulièrement des articles dans les revues sionistes et intervient activement dans l’encadrement intellectuel du mouvement. Il obtient ensuite un poste de chercheur à l’académie de recherche juive de Berlin où il a rencontré Franz Rosenzweig, Martin Buber, Scholem, Walter Benjamin. Il y a travaillé à son premier ouvrage consacré à la critique spinoziste de la religion[12]. Il s’est également occupé de l’édition du jubilé des œuvres de Moses Mendelssohn dont il a présenté un certain nombre[13]. Du livre sur Spinoza, publié en 1930, il a été conduit à l’étude de Maïmonide et de Hobbes comme aux deux sources, l’une « ancienne » et l’autre « moderne » de Spinoza. De ces études naîtront deux livres, d’abord en 1935, La philosophie et la loi[14], sur Maïmonide et ses précurseurs (en allemand), et en 1936 La philosophie politique de Hobbes, son fondement et sa genèse[15] (en traduction anglaise). Entre-temps, il avait, à la faveur d’une bourse Rockefeller obtenue en partie grâce à Carl Schmitt, émigré en France en 1932, où il avait rencontré Alexandre Kojève et Alexandre Koyré entre autres. Il passa ensuite en Angleterre pour étudier les manuscrits de Hobbes et émigra aux Etats-Unis en 1938. Là il enseigna une dizaine d’années à la New School for Social Research, puis, à partir de 1948 il obtint une chaire de philosophie politique à l’université de Chicago où il enseigna jusqu’à sa retraite en 1967. Ensuite, après une année à Claremont College en Californie, il passa les quatre dernières années de sa vie à Saint John’s College à Annapolis dans le Maryland. Il publiera entre 1948 et sa mort une dizaine d’ouvrages d’histoire de la philosophie politique. Ce sont De la tyrannie (1948), La Persécution et l’art d’écrire (1952), Droit naturel et histoire (1953), Pensées sur Machiavel (1958), Qu’est-ce que la philosophie politique ? (1959), La Cité et l’Homme (1964), Socrate et Aristophane (1966), Le libéralisme antique et le libéralisme moderne (1968), Le discours socratique de Xénophon (1970), Le Socrate de Xénophon (1972). Après sa mort paraîtront Argument et Action dans les Lois de Platon (1975), les Etudes de philosophie politique platonicienne (1983), La renaissance du rationalisme politique classique (1989) et Sur le Banquet de Platon (2002). Ses livres portent comme on le voit principalement sur l’ensemble de l’histoire de la philosophie politique, mais aussi il consacre bon nombre d’études dans ces ouvrages à la tradition juive et à la question des rapports entre la philosophie et la révélation biblique[16]. La question de la révélation appartient donc pour lui à la philosophie politique.

Leur correspondance ne commence qu’en 1933, dix années après l’émigration de Scholem, lorsque Strauss, à Paris puis en Angleterre, est à la recherche d’un poste. Elle ne devient véritablement amicale qu’après un voyage des époux Scholem à Chicago en 1949. Néanmoins, cette amitié, telle qu’elle nous est transmise par la correspondance, n’a pas le caractère affectif et passionné, le caractère d’un échange véritable de pensées[17], de celle que Scholem a entretenu pendant vingt-cinq ans avec son ami de jeunesse Walter Benjamin. Sans doute, les caractères de Strauss et de Scholem étaient-ils assez différents, et leurs objets d’études étaient également fort différents. Manifestement, ils s’estiment l’un l’autre à un très haut degré. Scholem semble assez vite avoir marqué son estime pour son correspondant, mais peut-être n’est-il jamais entré véritablement dans la pensée de Strauss ; Strauss a manifesté son estime à sa manière, en prenant toujours l’initiative d’une contestation ou d’une demande d’explication, peut-être aussi en comprenant de mieux en mieux l’altérité de Scholem et de son objet d’études, et de plus en plus son intérêt et sa richesse[18] ; sans que pour autant cela modifie en rien sa position de philosophe[19]. Nous ne voyons pas de raison de supposer que l’un ou l’autre ait été hypocrite dans l’expression de son estime, alors même que l’un et l’autre ne se sont jamais montrés particulièrement indulgents envers leurs contemporains. Mais le fait est que l’influence de l’un sur l’autre ne semble guère perceptible et que leurs œuvres respectives ne font que très peu mention de celles de l’autre[20]. On peut remarquer que Scholem a consacré un certain nombre de textes à raconter sa propre vie, tandis que Strauss semble sur ce point particulièrement discret. A bien des égards, cette correspondance peut sembler d’un intérêt minime, comparée à l’œuvre considérable de ses deux auteurs. Cependant, si l’on prend en compte leur importance, et la difficulté d’épuiser la richesse de leurs œuvres, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce qui a pu les unir et sur ce qui les sépare, et cela, peut-être, permettra de mieux comprendre certains aspects de leurs pensées. Ils sont tous les deux des historiens, et en un sens, des philosophes[21], ils réfléchissent sur l’histoire, et en tant que Juifs et sionistes, ils réfléchissent sur l’identité juive et sur la question juive.

Leurs combats

Scholem comme Strauss ont mené dans leurs disciplines respectives un combat. Scholem s’est battu contre l’image du judaïsme que donnaient les Juifs « assimilés » et en particulier la discipline intitulée la « Science du Judaïsme » ; de son côté, Strauss a combattu l’historicisme et une science sociale qui refuse de porter des jugements de valeur. L’un et l’autre ont ainsi combattu l’évidence de la bonté des Lumières modernes, auxquelles ils ont opposé d’autres Lumières, mystiques et messianiques chez Scholem, médiévales et antiques chez Strauss[22]. Scholem a redécouvert la cabale, à laquelle il a donné un statut d’objet de recherche dans l’université moderne ; Strauss a redécouvert la philosophie politique classique et le problème théologico-politique.

Scholem et la « Science du judaïsme » – contre les Lumières et contre l’assimilation

Le combat de Scholem fut mené d’abord, affectivement contre son milieu familial assimilé, politiquement, en tant que sioniste, contre la volonté d’assimilation de la génération de ses pères, et théoriquement contre la conception de l’histoire fondée sur l’idée de progrès qu’incarnait en particulier dans le judaïsme la discipline nouvelle appelée « la science du judaïsme » (Wissenschaft des Judentums). Cette dernière avait été créée au XIXe siècle dans le sillage de la libéralisation politique, du progressisme, du scientisme et de la promotion de l’histoire au rang de discipline universelle. Ses fondateurs, Léopold Zunz et Moritz Steinschneider envisageaient le judaïsme comme un phénomène historique comme un autre, c’est-à-dire comme le produit d’une construction historique particulière. Plus près de nous, car cette opinion reste dominante sous d’autres formes, Cornélius Castoriadis aurait parlé d’une « institution imaginaire sociale particulière[23] ». Et un mot de Steinschneider, dans une conversation rapportée par Gotthod Weil, résume d’une manière particulièrement frappante la position de la Wissenschaft der Judentums : « La seule tâche qui nous reste, c’est de donner à ce qui reste du judaïsme un enterrement décent[24]. » Politiquement, la science du judaïsme participait du mouvement d’intégration des Juifs dans le monde occidental, elle manifestait à l’intérieur du monde juif, le désir de s’intégrer, d’assimiler les modes de pensée du monde environnant, dont il avait été paradoxalement protégé par les discriminations antérieures. Par une pente aisément compréhensible, la science du judaïsme fut conduite à privilégier dans le judaïsme les éléments plus facilement assimilables et à négliger, voire à mépriser les autres. Les savants juifs voulaient montrer au monde libéral qu’il y avait dans leur tradition des éléments qui s’accordaient avec l’espace de liberté et de raison caractéristique de l’Occident moderne. La promotion de l’histoire au rang de science avait eu son origine[25] dans le désir de fonder le particularisme des différentes nations, dans la critique de l’universalisme de la Révolution Française (l’universalisme abstrait des « Droits de l’Homme »), mais elle a abouti au relativisme (« toutes les cultures sont égales »), et ainsi, pour le Judaïsme lui-même, à une forme de déjudaïsation – qui s’est également exprimée dans le sionisme, dans la volonté que les Juifs soient « semblables à toutes les nations », ce que Scholem comme Strauss ont combattu. Scholem s’est engagé au contraire dans l’entreprise de retrouver le judaïsme authentique ; il s’est plongé dans la mystique juive et il a consacré sa vie à lui redonner sa place. Il a donc consacré sa vie à l’étude de « l’irrationnel », quelque chose qui n’avait pas sa place à cette époque dans le monde déterminé par les Lumières. Assurément, il semble y avoir eu[26] entre le savant et son objet, une affinité. Mais il a mené ses études en historien, non en mystique.

Strauss, contre l’historicisme et le positivisme (ou contre les Lumières modernes), et derechef contre l’assimilation

Le combat de Strauss s’est exercé lui aussi contre la manière dont les Lumières modernes et leur rejeton principal, la science historique, ont recouvert l’héritage de la pensée antique et médiévale. Mais, en tout premier lieu, Strauss était juif et il a embrassé le sionisme et il n’a pu manquer de se poser la question de la place qu’occupe dans l’héritage juif la question de Dieu et de la révélation[27], et en particulier dans ce mouvement politique souvent athée qu’est le sionisme. Il semble qu’il ne se soit pas posé cette question en termes religieux. Mais il affirme, dans cette correspondance, qu’il ne comprend pas la mystique, ni ce que peut être une expérience subjective de Dieu. Il s’est donc interrogé sur le lien entre la révélation biblique, la religion juive, et le peuple juif, entre la religion et la politique. Le « problème théologico-politique » s’enracine ici, et c’est peut-être l’un des sens de son propos suivant lequel le problème juif est le symbole du problème humain[28]. C’est cette question qui l’a conduit à Spinoza[29] comme au penseur des Lumières modernes qui a prétendu avoir résolu une fois pour toutes la question des rapports entre la religion et l’Etat. Le résultat de l’étude qu’il a conduite sur son œuvre est que Spinoza n’a pas du tout réfuté les prétentions de la révélation, qui restent tout aussi irréfutables après lui. Strauss, tout au long de son activité d’écrivain, ponctuera ses études d’histoire de la philosophie de réflexions sur la question juive et sur les relations de la raison et de la révélation[30]. De Spinoza, il est conduit d’un côté à Maïmonide, à son maître musulman Alfarabi et de ce dernier à un Platon peu conforme à l’image académique, et de l’autre à Hobbes, et il s’oriente en général vers une réflexion d’ensemble sur la modernité et à une reprise de la philosophie politique classique, de Socrate, Platon et Aristote qui sera le thème des œuvres des dix dernières années de sa vie. C’est donc lui aussi contre les Lumières modernes et leur prétention à avoir résolu le problème politique et le problème de la religion et celui de leurs rapports, qu’il exerce son exceptionnelle perspicacité de lecteur. En liaison avec son ami Jacob Klein[31], il médite sur la différence entre la science classique et la science moderne. Cela l’amène à réfléchir à la genèse de l’histoire et de l’historicisme, en même temps qu’à rejeter la conception positiviste (c’est-à-dire ici tout simplement moderne) de la science. Il critique particulièrement la conception formulée par Max Weber d’une science sociale qui ne porterait pas de jugements de valeur. Strauss souligne que cette science qui se prétend libre d’évaluation repose en fait sur un jugement de valeur, sur une préférence pour certaines valeurs, sans pour autant pouvoir, rigueur « scientifique » oblige, justifier son choix qui repose donc sur un abîme sans fond. Strauss souligne qu’une science qui refuse de distinguer entre le bien et le mal ressemble à un médecin qui refuserait de distinguer entre la santé et la maladie[32]. Les choses humaines sont constitutivement fondées sur la détermination de fins que l’on s’accorde à considérer comme désirables et comme bonnes. Par conséquent, exiger une neutralité envers les objets de la science sociale revient à déformer l’objet même sur lequel on prétend énoncer une proposition scientifique. Par suite, la question n’est pas de ne pas faire d’évaluations, mais de tenter de les faire « bien ». Comment parler en particulier des tyrannies modernes que sont le communisme et le nazisme sans parler de leur inhumanité et de leur perversité ? Une telle proposition n’est pas inspirée par l’affectivité, mais par la réflexion sur ce qui est « humain » et juste. Et elle montre que la défense de la justice peut être argumentée « scientifiquement ». C’est ce que toute philosophie politique avait fait avant le positivisme wébérien. Adoptant une position contraire, la neutralité en matière morale et politique de la science sociale moderne a fait le lit du relativisme qui est un aspect de la crise de l’Occident moderne[33]. Le refus du relativisme ne conduit pas nécessairement à adopter une position autoritaire ou « absolue ». Strauss ne se laisse pas si aisément « embrigader ». Il suffit de le lire.

Cela a conduit Strauss a une réflexion profonde sur la notion d’histoire et sur le métier de l’historien de la philosophie. Contrairement à l’opinion généralement acceptée selon laquelle la pensée d’un écrivain doit être expliquée principalement par référence à son contexte historique, Strauss soutient qu’il faut tenter de comprendre un écrivain « tel qu’il se comprenait lui-même », autrement dit d’abord en s’appuyant sur ses propres questions et sur sa manière d’écrire et ensuite seulement en relation à son époque. Cette règle herméneutique, si l’on veut ainsi parler, exige que l’historien mette de côté ses propres préoccupations, ses propres préjugés, pour s’interroger sur la question que se posait cet écrivain et sur la réponse qu’il y apporte, en supposant par hypothèse qu’il savait ce qu’il faisait et qu’il est bien possible qu’il soit parvenu à la vérité[34]. Telle est la condition d’une objectivité historique que Strauss défend ici avec force. Le respect des textes exige que nous apprenions à nous laisser guider par l’écrivain du passé que nous étudions, en lui faisant entièrement crédit, le temps de notre lecture. L’attitude historiciste consiste au contraire à supposer que l’historien est capable de comprendre l’auteur mieux qu’il ne s’est compris lui-même, sous prétexte que ses questions ainsi que ses réponses auraient été dépassées par le « progrès ». Cette prétention conduit à accepter une fiction de l’imagination de l’historien plaquée sur la réalité des textes qu’il prétend étudier[35]. En effet, pour pouvoir prétendre avoir dépassé un enseignement du passé, il faut d’abord l’avoir compris (comment dépasser ce que l’on affirme ne pas pouvoir connaître ?), faute de quoi l’on ne dépasse qu’une construction imaginaire.

Il est bien clair que Strauss comme Scholem ont fortement ressenti l’absurdité de la notion de progrès général. Et cela retentit sur leur relation au judaïsme. Ainsi Scholem : « Je ne crois pas qu’il existe une solution à la question juive au sens d’une normalisation des Juifs[36] » ; et Strauss : « Les problèmes finis, relatifs, peuvent être résolus ; on ne peut résoudre les problèmes absolus. En d’autres termes, les êtres humains ne créeront jamais une société dépourvue de contradictions. À tous les points de vue, tout se passe comme si le peuple juif était le peuple élu au moins au sens où le problème juif est le symbole le plus manifeste du problème humain en tant que problème social et politique[37]. » Et Scholem encore : « Si nous vivons dans un monde dans lequel la Révélation a été perdue en tant que possession positive, la première question est la suivante : Cela ne revient-il pas à la liquidation du judaïsme dans la mesure où la Révélation est comprise comme un caractère spécifique du peuple juif, comme la forme sous laquelle il est apparu dans l’histoire du monde ? … Je suis tout à fait convaincu que la réalisation de ce slogan [être « comme toutes les nations »] ne saurait signifier que la tendance au déclin du peuple juif ou même à sa disparition. »

Dans leur critique des Lumières, Scholem et Strauss avaient conscience de vivre à une époque charnière, qui est encore la nôtre. Cette crise de notre temps s’est manifestée dans les grands mouvements historiques que furent les grandes guerres et les mouvements communistes et fascistes, mais son origine est liée à l’ensemble du projet moderne que Strauss s’est attaché à examiner. Et pour l’un comme pour l’autre, la tradition ne pouvait être ce que le moderne en pense spontanément : un lieu de sclérose et d’erreur, que le mouvement de l’histoire doit nécessairement dépasser. Ils s’opposent l’un et l’autre au philistinisme du progressisme issu des Lumières et incarné de manière (aujourd’hui) caricaturale par Max Nordau[38]. La tradition juive, en particulier pour Scholem, est un trésor vivant et la source d’idées nouvelles en même temps qu’elle peut être obscure et fermée. En ce qui concerne Strauss, il souligne souvent les limites de toute attitude défensive, et il insiste sur la différence qu’il y a entre la démesure de la recherche de la vérité et la nécessaire modération qu’il est presque toujours juste d’adopter en politique. Par ailleurs, l’attitude réfléchie et intéressée avec laquelle il se penche sur les textes du passé n’est pas sans rapport avec l’amour avec lequel le Juif se penche sur les textes de sa tradition. La tradition est en même temps un lieu de ressourcement et, une fois « sédimentée [39]», les couches supérieures cachent les couches inférieures, qu’il faut donc, pour revivifier la tradition, retrouver. Cela implique donc de contester l’héritage ou en tout cas les couches les plus récentes. C’est en ce sens aussi que Scholem s’est penché sur le judaïsme rabbinique afin d’en exhumer les aspects que l’orthodoxie rabbinique, par rationalisme, avait cherché à refouler. Les études qu’il a menées sur la cabale relèvent de cette attitude. Strauss, lui, ne s’est pas opposé à la tradition juive, mais à la tradition moderne, c’est-à-dire à la tradition des Lumières en soulignant que « prendre les Lumières pour quelque chose qui va de soi[40] » est contraire à l’esprit des Lumières modernes elles-mêmes. L’ensemble des études qu’il a consacrées à la tradition juive, et en particulier à Maïmonide, vont dans le sens d’une réhabilitation des Lumières médiévales et grecques par rapport aux Lumières modernes. Il y a ici une cohérence parfaite entre le retour à Maïmonide, le retour à Platon et la compréhension du mouvement de la modernité. Scholem cependant, peut-être du fait d’un reste de romantisme[41], tout en s’efforçant d’être un historien scientifique, attribue la négligence de la mystique par le judaïsme rabbinique à un excès de rationalisme, et comprend la cabale et le messianisme comme des puissances créatrices, irrationnelles, revivifiantes à l’intérieur du judaïsme. Il est clair que l’ésotérisme straussien n’est pas « irrationnel », encore moins romantique.

L’esprit du judaïsme selon Scholem

Toutes les recherches de Scholem, depuis son engagement de jeunesse dans l’étude de l’hébreu et dans le mouvement sioniste, visent à comprendre l’identité juive. Il lui semblait que le courant rationnel des rabbins et des savants juifs modernes ne présentait qu’une image tronquée du judaïsme, dont la vitalité lui paraissait venir d’une source plus profonde. Il s’est opposé à ceux qui, tels Hermann Cohen ont tendu à réduire le judaïsme à une religion de la raison[42], mais aussi à ceux qui se retranchaient derrière les préceptes de la Halakha, parmi lesquels il rangeait « les philosophes[43] », c’est-à-dire en premier lieu Maïmonide. Il a cherché à entendre les voix étranges et sombres, mais aussi lumineuses, des mystiques, à décrypter leur « ésotérisme ». Il considère la cabale comme plus profondément liée aux « principales forces actives du Judaïsme ». Selon lui, la philosophie juive du Moyen Age et la cabale constituent l’une et l’autre un moment de réflexion par rapport à la tradition ; mais la cabale s’enracine plus profondément que la philosophie juive du Moyen Age dans la vie juive[44].

Scholem se représente donc le judaïsme comme divisé entre les tendances halakhiques et les tendances mystiques au messianisme utopique et il manifeste clairement sa préférence pour les secondes. La philosophie juive lui apparaît comme une greffe extérieure d’inspiration grecque et en cela, elle se rapproche de l’orthodoxie talmudique. Mais on peut y voir également une marque de sa dépendance par rapport à la tradition d’une critique romantique de la raison que l’on retrouve chez Walter Benjamin ainsi que dans ses écrits de jeunesse[45]. Il se représente la philosophie à la manière dont elle se présentait à l’époque romantique, s’efforçant de la réduire à des abstractions rationnelles (La religion dans les limites de la simple raison de Kant) ou de l’intégrer comme un « moment » dans un système de philosophie (Hegel). C’est ainsi qu’il voit la théorie des attributs visibles chez Maïmonide et en général la théologie négative qui se développe par la suite, comme un assèchement de la vie et de l’enseignement biblique. Sans doute, la cabale est-elle liée aux recherches philosophiques et semble-t-elle manifester une abstraction très grande, mais elle vise, selon Scholem, à revivifier, à donner l’idée d’une profondeur nouvelle qui ne saurait recevoir une expression purement rationnelle. La mystique cherche donc à revivifier le judaïsme de l’intérieur ce qui fait qu’elle se présente comme une nouveauté interne. La cabale a en outre une dimension ésotérique, elle a un enseignement caché auquel seuls les initiés peuvent avoir accès. C’est à la gnose des premiers siècles de l’ère chrétienne que Scholem fait remonter cet aspect de la mystique juive[46]. La gnose en effet interprétait le texte biblique comme le monde matériel lui-même d’une manière allégorique. L’ésotérisme des mystiques porte en particulier sur ce que l’on appelait dans la tradition juive les « secrets de la Torah » (Sithrei ha-Torah), concernant à la fois la création et la connaissance de Dieu (qui se trouvent respectivement dans le livre de la Genèse et dans la vision d’Ezéquiel). Les interprétations gnostiques s’élevaient de la lettre à la connaissance, en permettant ainsi à l’âme de s’élever de la terre jusqu’à la Merkabah, trône de la sagesse divine. Mais la mystique juive se caractérise également par l’opposition à la loi, que Scholem appelle « l’antinomisme ». Ce point est lié au caractère de l’espérance messianique. Le messianisme a d’abord été compris comme la restauration d’Israël sur sa terre par un roi-Messie. En ce sens, il a d’abord un sens restaurateur, il s’agit de retrouver un passé perdu dans l’exil et la diaspora. Mais ce messianisme contient également des éléments « utopiques » qui concernent la rédemption et qui ouvrent à un avenir meilleur. Scholem pense à ce sujet que l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 constitue un moment décisif dans l’histoire de la mystique juive, en ce que le traumatisme vécu alors par les Juifs les a fait penser qu’ils étaient proches de la fin des temps annoncée dans la Bible. Le passage d’un messianisme de restauration à un messianisme utopique et apocalyptique fut accomplie par Isaac Luria, un cabaliste espagnol installé à Safed en Palestine. Luria fait de l’expulsion d’Espagne, non seulement un événement temporel, mais aussi un acte particulier du drame cosmique de l’exil et de la rédemption. L’importance accordée alors au tikkoun, à une réparation ou amélioration de la création, a métamorphosé la cabale d’une doctrine ésotérique auparavant réservée à une élite en un mouvement collectif révolutionnaire qui bouleversa profondément le monde juif. Les potentialités de radicalisation de la cabale de Luria furent considérablement augmentées dans les mouvements messianiques ultérieurs et en particulier dans l’étrange histoire du faux messie Sabbatai Tsevi[47]. Et l’on peut bien penser avec Scholem que ces mouvements ont pu jouer un rôle décisif dans le mouvement de sécularisation du messianisme qui caractérise les Lumières modernes.

L’esprit de la philosophie selon Strauss

Aux prises avec le problème théologico-politique, et en particulier avec la situation particulière du sionisme dans les années vingt du siècle dernier, Strauss s’est interrogé sur la réalité de la réfutation prétendue des prétentions de la révélation biblique par les Lumières modernes. Son étude de Spinoza, puis de Maimonide et de Hobbes, l’ont conduit à redécouvrir les philosophes aristotéliciens (très platoniciens) musulmans, qui lui ont ouvert l’œuvre de Platon, pour lequel il avait une prédilection dès son adolescence. En d’autres termes, sa volonté première de scruter les lumières modernes l’ont conduit à « sortir » de l’orbite ou de ce que l’on pourrait appeler la « conception du monde » moderne (disons, pour faire vite, « progressiste »). Il a ainsi pu retrouver la richesse et mesurer la légitimité de l’approche prémoderne (antique et médiévale) que les philosophes modernes et leurs héritiers considèrent comme radicalement dépassés. Cependant, contrairement aux apparences, ce retour s’accompagne d’une radicalité qui pourrait être interprétée comme une application rigoureuse de ce qui semble la ligne de la philosophie moderne (faire la chasse aux « présuppositions ») et que Strauss trouve fondamentalement dans la philosophie de Socrate, de Platon et d’Aristote. C’est dire que contrairement aux représentations académiques de ces philosophes antiques, la vision que s’en fait Strauss à la suite de Maimonide et d’Alfarabi est celle de philosophes intransigeants, fondamentalement sceptiques et réfractaires à toute soumission intellectuelle, problématiquement « substantialistes ». C’est la philosophie moderne dans son ensemble qui paraît ainsi, par son optimisme progressiste, puis par son nihilisme relativiste et historiciste, fondée sur une foi non justifiée en l’idole « progrès » ou — aussi paradoxal que cela puisse paraître — sur une foi en le « néant » ou l’absence de sens, ou une vague « créativité » humaine. Cet esprit de la philosophie, loin de tout système, s’est trouvé, au Moyen Age, confronté à la nécessité de composer avec l’enseignement de la Révélation biblique, dans la conscience que cette composition est fondamentalement contraire à la philosophie, mais liée aux nécessités essentielles de la relation de la philosophie au pouvoir politique. Car la politique n’est pas le lieu d’une parousie, mais selon Platon, qui est le philosophe politique au sens de Strauss, « la tragédie par excellence ». Cette conscience de l’imperfection de la politique n’est aucunement pour Strauss une invitation à « retourner aux forêts » (comme un Ernst Jünger, encore un parangon de « rebelle »), mais à se tourner, d’un côté, vers la pratique de la philosophie et vers son enseignement, qui s’adresse toujours à un petit nombre, relativement coupé du reste de la cité ; et de l’autre, vers la cité, vers le pouvoir politique, pour à la fois l’humaniser et protéger l’exercice de la philosophie. Telle est la philosophie politique, c’est-à-dire qui intègre la dimension de la relation problématique de la philosophie au politique. De là, l’art d’écrire ésotérique des philosophes classiques. S’il y a là quelque chose d’aristocratique, c’est de l’aristocratie de l’esprit et de l’intelligence qu’il s’agit. Et s’il y a « retour », c’est le retour à la philosophie socratique. Le problème théologico-politique nous apparaît alors comme une modalité particulière du problème politique, en ce que le politique ne saurait se passer d’une dimension religieuse, c’est-à-dire fondamentalement non philosophique ou anti-philosophique. La spécificité et la grandeur de la révélation biblique étant qu’elle se présente, ou qu’elle peut être présentée comme, la révélation d’une vérité comparable, voire identique, à celle que cherche le philosophe…

On comprend mieux à partir de là que Strauss, dans l’appréciation du messianisme juif, se range plutôt du côté de l’interprétation qu’en donne Maimonide dans le Michné Torah, qui en fait une restauration politique relativement prosaïque, que du côté de l’interprétation cabalistique des temps modernes, qui insiste sur l’aspect « utopique » et apocalyptique des temps messianiques, et que Scholem penche, quant à lui, davantage du côté des cabalistes[48].

Identités et différences

Scholem et Strauss, par-delà l’ampleur respective de leurs œuvres, se retrouvent en ce qu’ils sont l’un et l’autre des Juifs refusant l’assimilation et attachés à la tradition du Judaïsme, et des défenseurs d’une certaine orthodoxie sans être ni l’un ni l’autre des religieux orthodoxes (et en ce qui concerne Strauss, pas religieux du tout). Ils sont l’un et l’autre des sionistes politiques qui se sont efforcés, chacun à sa manière de « donner un ciel » au mouvement moderne que fut le sionisme et de l’empêcher de se perdre dans ce modernisme, Scholem en rappelant un aspect caché de la tradition juive, en lui redonnant son importance et en lui donnant une légitimité culturelle et intellectuelle, Strauss en soulignant l’insolubilité du conflit entre la raison et la révélation et la fécondité qui découle du fait de vivre ce conflit de manière intransigeante. Cependant, il est clair ici que Strauss adopte constamment une position « athénienne » et que c’est du point de vue de l’intelligence philosophique et de la philosophie platonicienne redécouverte qu’il envisage la révélation. Strauss et Scholem se retrouvent donc dans leur critique de la cécité d’un modernisme présent en particulier dans le sionisme de leur jeunesse. Mais ni l’un ni l’autre n’ont jamais cédé aux sirènes modernes. C’est cette indépendance d’esprit et cette vigilance qui les caractérisent dès leur jeunesse et tout au long de leurs vies. Ils ont ainsi réussi l’un et l’autre à concilier l’esprit et le cœur, les exigences de l’intelligence et la fidélité à leurs racines juives, qui ont été pour eux, et plus encore pour Strauss, dans la mesure où il s’est adressé à un public plus large, un pont ou un point de départ pour la compréhension de l’histoire de la philosophie et pour la compréhension du problème politique. Assurément, ils ne sont, ni l’un ni l’autre, des progressistes aveugles qui ont l’habitude des mégaphones. Ils préfèrent la solidité de la réflexion à l’enthousiasme.

D’un autre côté, Scholem et Strauss diffèrent sur bien des points en commençant par leurs milieux d’origine. Assurément, il n’y a aucune trace, chez Strauss, de romantisme. Dès ses premiers textes, il semble tout à la fois d’une perspicacité aiguë et d’une sobriété parfaite ; il semble prémuni contre tout enthousiasme. Il critique dans le sionisme à la fois la tendance à l’athéisme de l’assimilation et la stricte orthodoxie religieuse, sans parler des tendances fascisantes de certains idéologues des mouvements de jeunesse juive. Il est aussi, immédiatement, philosophe et historien de la philosophie. Scholem est, quant à lui, davantage marqué par le romantisme et l’anarchisme qui nourrissent sa rébellion contre le milieu de la génération de ses parents, une petite bourgeoisie assimilée soucieuse de rendre aussi peu visible que possible son judaïsme[49]. Strauss et Scholem diffèrent encore sur leurs objets de recherches. Strauss s’est cantonné à la philosophie, sans jamais hésiter entre la vie de recherche indépendante et la vie d’obéissance à la Loi. Si Scholem n’est pas, lui non plus, un religieux orthodoxe, il s’affirme croyant et il consacre toute sa vie à l’étude de la mystique. Mais il est vrai qu’il ne l’étudie pas en tant que mystique, mais en tant que chercheur et historien.

En guise de conclusion

L’auteur de ces lignes a vécu accompagné de l’œuvre de Strauss depuis déjà plus de vingt années de travail approfondi, plein de délices et de lumières tamisées et fulgurantes ; il a fréquenté l’œuvre de Scholem moins assidûment, jusqu’à ce que cette correspondance lui vienne entre les mains. Il a alors pu mesurer l’ampleur et la portée de ce qu’il apporte, que Strauss caractérise, dans une phrase soudain plus personnelle et d’une passion que l’on n’a pas coutume de lire aussi explicitement chez lui, de la manière suivante le 22 novembre 1960 : « Vous êtes un homme béni pour avoir réalisé une harmonie entre l’esprit et le cœur à un si haut niveau et vous êtes une bénédiction pour tout Juif vivant aujourd’hui » (lettre 41). Pendant, quarante années, Scholem et Strauss ont correspondu, d’abord d’une manière assez formelle et extérieure, et puis, avec les années, et leur rencontre à la fin des années quarante aux Etats-Unis, d’une manière plus profonde et affectueuse, dans une amitié d’hommes et de penseurs libres et engagés dans leurs œuvres respectives et dans le monde du travail universitaire et la responsabilité de transmettre et de choisir. Ils sont devenus des amis, en un sens à la fois très simple et par nature très mystérieux. Ce sont des chercheurs, des penseurs, des contemporains, des participants à une même aventure politique et intellectuelle, le sionisme des années de la première guerre mondiale et des années vingt ; ce sont des Juifs, avec ce mélange de communauté et de distance, de partage fondamental et de défiance critique qui semble caractéristique de ce peuple si singulier ; et ce sont des hommes engagés dans une œuvre dont la nécessité s’impose à eux, venue de plus loin qu’eux. Et ici nous trouvons peut-être ce qui les rapproche le plus : ils sont l’un et l’autre réfractaires à la pose si répandue dans le monde contemporain à être soi-même une origine absolue, à être un inventeur de tout son être et de toute son œuvre. Il y a chez l’un et chez l’autre le sentiment profond, peut-être juif, peut-être simplement profondément humain, que tout ne commence pas avec « moi », que l’œuvre même qui s’élabore en soi s’enracine dans plus loin que soi, dans une tradition qu’il est absurde et ridicule de renier. Assurément, ni l’un ni l’autre n’est un « renégat », un homme qui renie son origine, sa tradition, et cela ne saurait être assez souligné. Dans l’amitié comme dans l’amour, quelque chose de mystérieux reste là, dont on sent qu’il est au plus profond, au plus essentiel de la rencontre entre des êtres humains individuels, et dont, bien sûr, on ne peut rien dire, seulement l’indiquer, marquer comme un blanc sur la page, que le lecteur pourra reconnaître, dans la réceptivité et l’intelligence plus que mentale de sa lecture. Assurément, cette correspondance ne nous fait pas pénétrer dans le saint des saints de leur dialogue, mais elle nous donne quelques précieuses indications. Et elle fait signe pour nous vers leurs œuvres. Et pour celui qui a fréquenté ces deux œuvres, le sentiment d’avoir affaire à deux penseurs décisifs s’impose. Et en se souvenant de ce que nous avons appris en les lisant, nous pouvons dire, en nous conformant à une tradition digne de respect, que c’est pour nous une bénédiction que Gershom Scholem et Leo Strauss aient vécu et aient écrit.

[1]. Nous adoptons pour cette traduction l’orthographe « cabale », proposée par Charles Mopsik dans la plupart de ses ouvrages et traductions. Nous avons toutefois maintenu «Kabbale» dans les citations des titres d’ouvrages traduits en français.

[2]. Les écrits de Strauss publiés dans des revues de la jeunesse sioniste témoignent de l’étonnante maturité de sa pensée ; ils sont désormais réunis dans le tome 2 des Gesammelte Schriften, édités par H. Meier (J.B. Metzler Verlag). Il a donné, de la situation intellectuelle d’un jeune « juif de Weimar » un tableau passionnant et néanmoins souvent énigmatique (cf. la lettre de Scholem du 28 novembre 1962, ici lettre 46) dans sa préface à l’édition américaine de son ouvrage sur la critique spinoziste de la religion (traduction française dans Le libéralisme antique et moderne, pp. 323-372, reprise dans Pourquoi nous restons Juifs, La Table Ronde, 2001, pp. 61-113.

[3]. Cf. nos remarques introductives à nos traductions de La Cité et l’Homme, (Agora, presses pocket 1987 et Le Livre de Poche, 2005) et Qu’est-ce que la philosophie politique ? (PUF, 1992).

[4]. Cf. son compte rendu de La Cité et l’Homme, Political Science Reviewer, 1974, pp. 1-20.

[5]. Voir Leo Strauss, « Le sionisme de Max Nordau », Der Jude, 1922-23, VII, pp. 657-60 et Gesammelte Schriften, Band 2, pp. 315-21.

[6]. Certains mouvements de jeunesse juifs allemands avaient lors de la Première Guerre mondiale, surenchéri dans le patriotisme, et Buber s’était lui aussi engagé dans ce sens.

[7]. Préface à La Critique spinoziste de la religion, traduction française dans Leo Strauss, Le libéralisme antique et moderne, PUF, 1990, p. 330, repris dans Pourquoi nous restons Juifs, La Table Ronde, 2001, p. 69 (une autre traduction de ce texte est parue dans Leo Strauss, Le Testament de Spinoza, Cerf, 1991).

[8]. Voir en particulier les articles réunis par Patricia Farazzi et Michel Valensi sous le titre Le Prix d’Israël, éditions de l’éclat, 2003, et en particulier « Le but final » (1931) et « Qu’est-ce que le Judaïsme ? » (1974) ; pour un point de vue plus « métaphysique » voir dans le même volume, la lettre que Scholem écrit à Rosenzweig en 1926 (le 7 teweth 5687) traduite et présentée par Stéphane Mosès.

[9]. Voir sur ce point l’étude passionnante de Michael Löwy, « Le messianisme hétérodoxe dans l’œuvre de jeunesse de Gershom Scholem », disponible sur le site http://www.ehess.fr/centres/ceifr/pages/images/SCHOLEM.pdf.

[10]. Cf. Gershom Scholem, Walter Benjamin, Histoire d’une Amitié (1975) traduction française par Paul Kessler, Calmann-Lévy, 1981.

[11]. Cf. « une double autobiographie », dans Leo Strauss, Pourquoi nous restons juifs, La Table Ronde, 2001, p. 122.

[12]. La critique spinoziste de la religion, recherches sur le traité théologico-politique, 1930, traduction française, par G. Almaleh, A. Baraquin et M. Depadt-Ejchenbaum, Cerf, 1996.

[13]. Voir infra lettres 7 et 67.

[14]. Traduction française par Rémi Brague dans le volume intitulé Maïmonide, PUF, 1988.

[15]. Traduction française, par A, Enégrèn et M. de Launay, Belin, 1996.

[16]. Pourquoi nous restons juifs, La Table Ronde, 2001.

[17]. Scholem se montre soucieux, à plusieurs reprises dans la correspondance, d’une communication orale dans laquelle seule une compréhension pourrait naître entre eux. Strauss semble plus « confiant » dans la puissance ambiguë de l’écriture, ou dans la puissance de l’écriture ambiguë. Voir infra lettre 73.

[18]. Cf. infra, lettre 41.

[19] Cf. Les dernières lettres où Strauss rappelle plusieurs fois le mot prêté à Averroès « Que je meure de la mort des philosophes ! ».

[20]. Strauss renvoie à Scholem dans deux notes de sa préface à l’édition américaine de La critique spinoziste de la religion (Le libéralisme antique et moderne, p. 330 et 340 ; Pourquoi nous restons juifs, p. 69 et 79) ; Scholem évoque Strauss dans la note 40 du chapitre II de La Kabbale et sa symbolique, et dans le texte correspondant.

[21]. Le fait qu’ils soient historiens l’un et l’autre ne semble pas faire problème ; le fait qu’ils sont philosophes si. Dans ses ouvrages, Strauss ne prétend jamais l’être, tout au plus se dit-il « amoureux de la philosophie », (cf. « Qu’est-ce que l’éducation libérale ? » dans Le Libéralisme antique et moderne, PUF, 1990, p. 19), et ici dans la lettre 27, il se dit non pas philosophe, mais professeur de political philosophy (en anglais dans le texte) ; Scholem, dans la lettre semble prétendre au titre de philosophe, que Strauss semble lui dénier (voir les lettres 27 et 39 de Strauss et la lettre 40 de Scholem). Enfin, le caractère galvaudé (par Jonas) du mot de « philosophe » lui fait préférer être « coupeur de pantalons » (Lettre 78). Scholem, par ailleurs, critique la philosophie (médiévale juive) dans Les grands courants de la mystique juive, voir en particulier, pp. 38 et sq.

[22]. Voir en particulier l’introduction de Philosophie und Gesetz.

[23]. Voir de cet auteur, important à beaucoup d’égards, dont nous nous souvenons avec émotion des séminaires à l’Ecole des Hautes Etudes, L’institution imaginaire de la société, Seuil, 1976.

[24]. Voir de Scholem, « La Science du Judaïsme, hier et aujourd’hui », dans Le Messianisme Juif, Calmann-Lévy, 1974, p. 431.

[25]. Voir Strauss, Droit naturel et histoire, le chapitre VII consacré à Burke.

[26]. « Entretien avec Gershom Scholem », in Fidélité et utopie, Calmann-Lévy, 1978, pp. 17-72.

[27]. « Préface à La critique spinoziste de la religion », dans Le libéralisme antique et moderne, PUF, 1990, pp. 323 sqq., et Pourquoi nous restons juifs, passim.

[28]. Ibidem, p. 70.

[29]. Il est intéressant de souligner que Spinoza, dans le judaïsme même, était considéré comme une figure exceptionnelle et exemplaire, et que la fascination des contemporains, y compris les non philosophes, pour Spinoza ne s’est pas démentie jusqu’à nos jours, jusqu’à être embarrassante pour les spécialistes de sa pensée. L’idolâtrie sociale et générale aujourd’hui de la figure du paria ou du rebelle n’en reste pas moins pour autant une convenance et un conformisme.

[30]. Nous en avons réuni un certain nombre dans Pourquoi nous restons Juifs, aux éditions de la Table Ronde, en 2001.

[31] Jacob Klein, né en Russie en 1899 (comme Strauss), il a étudié à Berlin et à Marbourg, est l’auteur d’un ouvrage important sur les mathématiques grecques, ainsi que deux ouvrages commentant des dialogues de Platon (On Plato’s Meno et Plato’s Trilogy, Chicago University Press.

[32]. « Une science sociale qui est incapable de parler de la tyrannie avec la même assurance que celle avec laquelle la médecine parle, par exemple, du cancer, ne peut pas comprendre les phénomènes sociaux tels qu’ils sont. Elle n’est par conséquent pas scientifique. Or la science sociale d’aujourd’hui se trouve dans cette situation. » Ce sont là les premières lignes de la « mise au point » de Strauss après la réponse de Kojève à son livre De la tyrannie, dans Qu’est-ce que la philosophie politique ? PUF, 1992, p. 94 .

[33] Cf. entre autres textes, « La crise de notre temps » dans Nihilisme et Politique, Payot, 2001.

[34] Cf. « Sur la philosophie de l’histoire de Collingwood », traduction française dans la Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 1987, reprise dans Leo Strauss, Sur l’histoire et la philosophie politique, Le Livre de Poche, à paraître prochainement ; La persécution et l’art d’écrire, éditions de l’éclat, 2002.

[35] Sur ce point, voir en particulier « Sur une nouvelle interprétation de la philosophie politique de Platon », éditions Allia, 2003.

[36]. « Le but final », 1931, dans Le prix d’Israël, p. 48.

[37]. « Préface à La critique spinoziste de la religion », dans Pourquoi nous restons juifs, La Table Ronde, 2001, p. 70 ; ce texte se trouve également dans Le libéralisme antique et moderne, PUF 1990.

[38] Cf. Strauss, « Le sionisme de Nordau », Der Jude, 1923, aujourd’hui dans Gesammelte Schriften, band 2, pp. 315-321.

[39] Ce vocabulaire husserlien n’est pas fortuit. Il est clair que la phénoménologie de Husserl peut également être considérée comme une tentative de revenir aux couches profondes de la signification de la science, et donc aussi comme une critique de la science moderne ; voir en particulier La crise des sciences européennes et la philosophie transcendantale, (manuscrit de 1935-36) traduction française par G. Granel, Gallimard, 1976, et en particulier l’appendice concernant « l’origine de la géométrie » (avec son commentaire sous ce titre par Jacques Derrida aux PUF en 1962). Sur ce point, voir essentiellement l’œuvre de Jacob Klein, l’ami le plus proche de Strauss, sur la science grecque et la science moderne, citée plus haut.

[40]. Sur une nouvelle interprétation de la philosophie politique de Platon, Allia, 2003, p. XXX

[41]. Cf. la lettre de Strauss à Scholem du 11 août 1960 (infra, lettre 39).

[42]. Cf. Hermann Cohen, Religion de la raison à partir des sources du Judaïsme, traduction française par M. de Launay, PUF, 1994, Strauss a lui aussi entretenu une relation faite à la fois de critique et de vénération envers Hermann Cohen, voir, outre ses critiques de jeunesse de l’interprétation de Spinoza par Cohen (en français dans Le Testament de Spinoza, Cerf, 1991), son « Essai d’introduction à Religion de la raison tirée des sources du judaïsme de Hermann Cohen » dans les Etudes de philosophie politique platonicienne, Belin, 1992, pp. 333-53.

[43]. Cf. entre autres citations : « Le philosophe ne peut faire avancer sa propre tâche qu’après avoir successivement converti les réalités concrètes du judaïsme en un faisceau d’abstractions », Les grands courants de la mystique juive, Payot, 1983, p. 39.

[44]. Les grands courants de la mystique Juive, p. 36.

[45]. Cf. l’article cité de Michael Löwy, qui s’appuie abondamment sur les écrits de jeunesse récemment publiés de Scholem.

[46] Ce point a suscité depuis des critiques. Cf. Eliezer Schweid, Judaism and Mysticism According to Gershom Scholem: A Critical Analysis and Programmatic Discussion, 1985.

[47]. Sabbatai Zevi et le mouvement sabbatéen pendant sa vie (en hébreu) 2 volumes, Tel Aviv, 1957 ; édition anglaise révisée et augmentée, Sabbatai Sevi, The Mystical Messiah, Bollingen Series, XCIII, Princeton University Press, 1973, traduction française Sabbataï Tsevi. Le messie mystique 1626-1676, Verdier Lagrasse, 1990.

[48] Voir les lettres 74, 76, 77, 78 de Strauss de février à septembre 1973, c’est-à-dire un mois seulement avant sa mort. Et cette observation : [le] « conservatisme [de Maimonide] est un premier plan nécessaire de quelque chose de radicalement autre. »

[49]. Voir son autobiographie, De Berlin à Jérusalem, Albin Michel, 1984, et l’histoire de son amitié avec Benjamin, Walter Benjamin, Histoire d’une Amitié, Calmann-Lévy, 1981, ainsi que son entretien avec Muki Tsur dans Fidélité et Utopie, p. 17-25.

publications d’Olivier Sedeyn

Publications d’Olivier Sedeyn :

  1. 1. La Cité et l’Homme, (The City and Man) de Léo Strauss, Agora, Presses-Pocket 1987, tra­duction et présen­tation, xxxv et 305 pages.
  2. « Sur la philosophie de l’histoire de Collingwood » (« On Collingwood’s Idea of History), de Léo Strauss, in Revue des Sciences philosophiques et théologiques, juil­let 1987, traduc­tion, 21 pages.
  3. La persécution et l’art d’écrire (Persecution and the Art of Writing), avec en appendice « Sur une nouvelle in­terpréta­tion de la phi­losophie politique de Platon » (« On a New Interpretation of Plato’s Political Philosophy »), de Léo Strauss, traduc­tion et présentation (25 pages), Agora, Presses-Pocket 1989, 330 pages.
  4. « Remarques sur le Livre de la Connaissance de Maimonide » (« Notes on Maimonides’ Book of Knowledge»), Revue de Métaphysique et de Morale, juillet-septembre 1989, pp. 293-308
  5. Argument et Action dans les Lois de Platon (Argument and Action in Plato’s Laws), de Léo Strauss, Vrin 1990, tra­duc­tion et présentation (25 pages), 254 pages.
  6. Le libéralisme antique et moderne (Liberalism ancient and modern), de Léo Strauss, Puf 1990, tra­duc­tion, 391 pages (dont 3 d’avant-propos).
  7. Introduction à l’étude des dialogues de Platon (Einführung in das Studium der platonischen Dialogue), de Nietzsche, édi­tions de l’Eclat, 1991, traduction et présentation, xix et 88 pages.
  8. Qu’est-ce que la philosophie politique? (What is Political Philosophy ?) de Léo Strauss, Puf fé­vrier 1992, col­lec­tion « Léviathan », traduction et présenta­tion (dix pages), 300 pages.

9, 10 et 11. Le discours socratique de Xénophon (Xenophon’ Socratic Discourse), avec Le Socrate de Xénophon (Xenophon’ Socrates), et en ap­pendice « L’esprit de Sparte et le goût de Xénophon » (« The Spirit of Sparta and the Taste of Xenophon »), de Léo Strauss, mars 1992 aux édi­tions de l’Eclat, tra­duction et présen­ta­tion, xviii et 243 pages.

  1. Etudes de philosophie politique platonicienne (Studies in Platonic Political Philosophy), de Léo Strauss, Belin, avril 1992, tra­duction, 350 pages.
  2. Socrate et Aristophane (Socrates and Aristophanes), de Léo Strauss, traduction fran­çaise et pré­sentation, éditions de l’Eclat, 1993, LXVII et 409 pages.
  3. Léo Strauss et Joseph Cropsey, Histoire de la philosophie po­li­tique (History of Political Philosophy), traduc­tion, 1076 pages, 1994, Puf, col­lection « Léviathan », réédité collection « Quadrige ».
  4. Michael Oakeshott, De la conduite humaine (On Human Conduct), traduc­tion et pré­senta­tion, avril 95, Puf, collection « Léviathan », XXXVIII et 334 pages.

 

  1. Werner Jaeger, Aristote, fondements pour une histoire de son évolution (Aristoteles, Grundlegung einer Geschichte seiner Entwicklung), traduction et présentation, XVIII et 510 pages, éditions de l’éclat, 1997

 

  1. Léo Strauss, « Sur le nihilisme allemand » (« On German Nihilism »), conférence inédite prononcée en 1941 sur la généalogie intellectuelle et culturelle du nazisme, traduction publiée dans la revue Commentaire, en juin 1999 (voir également n°21)

 

  1. Jacob Klein, « L’histoire et les arts libéraux » (« History and the Liberal Arts »), traduction parue dans Commentaire, janvier 2000, avec une présentation.
  2. Léo Strauss, « Le Platon de Fârâbî » (« Fârâbî’s Plato», traduction parue dans la revue Philosophie aux éditions de Minuit, en septembre 2000, pp. 51-92 (avec la traduction de La philosophie de Platon de Fârâbî).
  3. Léo Strauss, « Sur Moïse et le monothéisme de Freud », traduction parue dans la Revue de Métaphysique et de Morale fin 2000.
  4. Léo Strauss, Le nihilisme allemand et la crise de notre temps, trois conférences inédites (dont celle publiée par Commentaire en juin 1999), à paraître en janvier 2001 aux éditions Payot et Rivages (paru sous le titre Nihilisme et Politique), traduction et présentation (21 pages).
  5. Léo Strauss, Pourquoi nous restons Juifs, textes sur Athènes et Jérusalem, la philosophie et la révélation, traduits et réunis par nous, aux éditions de La Table Ronde en 2001.
  6. Léo Strauss, Le Platon de Fârâbî, traduit de l’anglais, éditions Allia, août 2002.
  7. Fârâbî, La philosophie de Platon, traduit de l’arabe en collaboration avec Nassim Lévi, éditions Allia, août 2002.
  8. Michael Oakeshott, « Sur le rationalisme en politique », traduction, revue « Cités », printemps 2003.
  9. Léo, Strauss, La persécution et l’art d’écrire, traduction revue et corrigée (voir plus haut n°3), éditions de l’éclat, novembre 2003. (Repris chez Gallimard dans la collection Tel.
  10. Léo, Strauss, « Sur une nouvelle interprétation de la philosophie politique de Platon » traduction revue et corrigée (voir plus haut n°3), éditions Allia, début 2004.
  11. Léo Strauss, La Cité et l’Homme, nouvelle édition, entièrement revue et corrigée, Livre de Poche, 2005.
  12. Alfarabi, De l’Obtention du bonheur, traduction et présentation aux éditions Allia, 2005.
  13. Léo Strauss, Sur le Banquet de Platon, 2006 aux éditions de l’éclat.
  14. Léo Strauss, Correspondance avec Gerschom Scholem, 2006 aux éditions de l’éclat, traduction et présentation.
  15. Michael Oakeshott, Morale et politique dans l’Europe moderne, 2006 aux Belles Lettres, traduction et présentation.

 

  1. Léo Strauss, La philosophie politique et l’histoire (de l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la philosophie), traduction et présentation d’un ensemble de textes choisis de Strauss sur l’idée d’histoire et la méthodologie historique, le Livre de Poche, 2008.

34. Richard Velkley, Heidegger, Strauss et les prémisses de la philosophie, traduit par Olivier Sedeyn, aux éditions de la Revue Conférence, 2017.
35. Leo Strauss « Pourquoi nous restons Juifs », traduction par Olivier Sedeyn, aux éditions Allia, 2017.

l’introduction de la philosophie dans la République de Platon, pages 471a et suivantes

Ce texte, écrit d’abord pour mes élèves au cours d’une étude suivie de la République, a été ensuite publié en octobre 1990 dans les Cahiers Philosophiques

 

répub471a

Leo Strauss, l’esprit de son intervention philosophique

ce texte a été présenté pour la première fois en 1990 à Tel-Aviv, dans le cadre d’un congrès sur les penseurs de la méditerranée à l’institut français, alors dirigé par Christian Delacampagne

 

strauss, l’esprit de son intervention philosophique

commentaire de l’introduction à Droit naturel et histoire

Ce travail a été présenté à Orléans en janvier 1997 dans le cadre d’une journée de formation pour les professeurs de philosophie de l’Académie d’Orléans.commentaire de l’introduction à DNH

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