De la tristesse, du malheur
Une lettre à une amie « triste »
La tristesse, le malheur, la déprime. La condition humaine, tout simplement. Le Bouddha (ce qui signifie « l’éveillé ») a dit « Tout est souffrance », tout dans la vie humaine est souffrance parce que, comme le dit joliment Montaigne dans un petit « essai » « Nous ne goûtons rien de pur » autrement dit, nos plus grands plaisirs sont mêlés de douleur et lorsque nous souffrons le plaisir peut ne pas être si loin qu’il le semble. En tous cas, il est clair que la fin d’une douleur donne un certain plaisir.
Telle est la condition humaine.
Mais le Bouddha a dit aussi — comme tous les grands maîtres spirituels, « il y a une voie pour sortir de la souffrance ». Car la condition humaine est aussi de ne pouvoir accepter la souffrance, de ne pas s’y résoudre, de ne pas s’y résigner, de vouloir en sortir, de vouloir être heureux, vraiment heureux. Et si nous sommes souvent dans le malheur, nous connaissons aussi la joie, même si elle ne dure pas. Nous croyons souvent à tort que « les autres » ne connaissent pas la souffrance qui est la nôtre, que personne ne souffre comme « moi ». En ce sens, la souffrance est « égoïste », elle est aspiration à ce que les autres nous aiment, se tournent vers nous, à ce que j’obtienne ce que je veux, moi, le bonheur, la joie, le plaisir. « Personne ne m’aime » dit l’ego à l’intérieur de nous, et il dit aussi que je ne suis pas responsable, mais que ce sont les autres, le monde, la société, voire Dieu même, qui sont responsables de mon malheur. Et j’en fais ainsi aussi les responsables possibles de mon bonheur et donc je me tourne vers eux pour qu’ils me rendent « heureux ».
C’est là l’erreur. Le bonheur ne vient pas des autres, il ne peut pas en venir. La sagesse (et l’intelligence) me dit au contraire: « tu es responsable de ta vie, de tout ce qui t’arrive et, si tu reviens en toi-même, si tu réfléchis, si tu apprends, tu connaîtras la joie. » Car, lorsque j’ai installé le bonheur en moi, les autres me le renvoient aussi.
Il faut revenir en soi-même, dans cette solitude royale où je suis au calme, et explorer, observer. Se connaître, démasquer tous mes faux-semblants, tout ce qui en moi n’est pas vraiment moi. Et c’est là que je rencontre le calme, l’abandon, l’espace intérieur immense, l’amour sans limite.
De là, je reviens vers les autres, je suis « avec » les autres. Et, parce que je suis dans l’amour, parce que je suis amour, je donne de l’amour. J’en donne « en veux-tu en voilà », sans souci de possession, pour le seul plaisir de donner.
Mais je reviens au malheur.
La seule forme universelle du malheur, c’est le manque d’amour. Et plus encore, la source la plus courante, la plus concrète, la plus évidente, du malheur, c’est le manque de faire l’amour, c’est le manque de plaisir dans la relation d’amour physique. Au fond, tu le sais et nous le savons tous. Mais je le sais d’autant mieux que j’ai connu un tel plaisir, une telle union. Tant que je ne l’ai pas connu, c’est comme une représentation, un fantasme, une aspiration vague et en même temps que j’y crois, je doute que ce soit possible (mais cette aspiration est vraie, elle est fondée dans la nature des choses). Et la société nous pousse à ne pas regarder cela en face. Ou à le considérer de façon technique. Ou à égaliser l’amour « normal » entre la femme et l’homme et l’amour entre femmes ou entre hommes, ce qui désoriente encore davantage les jeunes gens qui ne savent plus quoi faire. Une union homosexuelle est fondamentalement stérile (sur tous les plans) et tous les contournements par la technique n’y feront rien.
Il faut bien faire l’amour physique, mais bien faire l’amour, cela implique de l’amour et donc que l’on n’oppose pas le désir sexuel et l’amour. C’est la forme première de l’amour, c’en est la forme fondamentale, première sur cette terre. C’est d’un faire l’amour que nous sommes ici tous issus et toutes issues. Je viens de là, c’est mon origine. Même si j’ai aussi une origine qu’on peut dire « céleste ».
Car il est vrai aussi que l’amour est plus et autre chose que le désir sexuel et que si le désir sexuel est l’origine de mon corps, ce n’est pas l’origine de mon « âme », ou de mon être le plus profond. Mais je suis un être incarné, je ne suis pas un pur esprit (gardons toujours à l’esprit ce mot de Pascal : « L’homme n’est ni ange, ni bête, et qui veut faire l’ange, fait la bête. ») Il faut donc que je connaisse l’accomplissement sur le plan physique pour pouvoir me tourner sainement vers le spirituel. Sinon, je n’ai qu’une vision tronquée de la vie.
Je reviens sur la question de l’homosexualité pour tenter de me faire mieux comprendre. Il peut certes y avoir de l’amour entre deux hommes ou deux femmes, c’est parfaitement clair. Simplement, nous avons un corps sexué et cela nous identifie et détermine la voie de notre accomplissement sur le plan physique. Vouloir changer de sexe, se dire « intermédiaire » ou « autre » ou « trans », c’est prendre un fantasme pour la réalité, c’est voir les relations humaines d’un point de vue « technique ». Je « peux » changer de sexe. La technique, la science, nous fait croire que beaucoup de choses sont possibles. Beaucoup, certainement. Tout, certainement pas. Et la réalité des corps fait que le corps de l’homme est fait pour le corps de la femme et inversement. Ils sont destinés par leurs corps à s’unir. Et l’accomplissement de l’amour physique ne saurait être ressenti entre deux hommes et deux femmes. Bien sûr, on le prétendra, dans l’abstrait. Et qui pourra le prouver ? En fait, seuls les femmes et les hommes qui ont vraiment connu l’accomplissement de l’amour physique pourront dire ce qu’il en est vraiment. Ils gardent cependant le silence, car la vérité n’a pas besoin d’être proclamée si elle est vécue. Et comme beaucoup de gens sont frustrés sur ce point, ils seront peut-être en petit nombre. Peu importe.
Si tu comprends que tu as besoin de bien faire l’amour avec un homme, tu apprends à le faire de mieux en mieux et l’amour devient une voie de connaissance de soi.
Mais l’amour n’est pas possession, il est don.
Tu as donc toutes les cartes en main. Sauras-tu jouer au jeu de la vie ? Et dépasser le malheur tout en acceptant la condition humaine.
En amour,
Olivier