Leo Strauss: Droit naturel et histoire, chapitre I le droit naturel et l’approche historique (traduction inédite de Olivier Sedeyn)
I
LE DROIT NATUREL ET L’APPROCHE HISTORIQUE
La critique du droit naturel au nom de l’histoire prend, dans la plupart des cas, la forme suivante : le droit naturel prétend être un droit discernable par la raison et universellement reconnu ; or l’histoire (qui englobe l’anthropologie) nous enseigne qu’il n’existe aucun droit de ce type ; en lieu et place de cette prétendue uniformité, nous trouvons une diversité indéfinie de notions du droit ou de la justice. En d’autres termes, il ne peut y avoir de droit naturel s’il n’y a pas de principes invariables de la justice, et l’histoire nous montre que tous les principes de justice sont variables. On ne peut pas comprendre la signification de cette critique du droit naturel faite au nom de l’histoire s’il l’on ne s’est pas auparavant rendu compte de l’absence totale de pertinence de cette argumentation. En premier lieu, « le consentement de l’humanité tout entière » n’est en aucune manière une condition nécessaire de l’existence du droit naturel. Certains des plus grands maîtres du droit naturel ont affirmé que précisément dans la mesure où le droit naturel est rationnel, sa découverte présuppose la culture de la raison, et par conséquent qu’il ne sera pas universellement connu : nous ne devons même pas espérer trouver la moindre connaissance du droit naturel chez des sauvages[1]. En d’autres termes, en prouvant qu’il n’y a aucun principe de justice qui n’ait été nié quelque part ou à une époque ou à une autre, on n’a pas prouvé pour autant qu’une quelconque de ces négations fût justifiée ou raisonnable. Bien plus, on a toujours su que des notions différentes de justice sont en vigueur en des temps différents et chez des nations différentes. Il est absurde de prétendre que la découverte d’un nombre encore plus grand de ces notions par les spécialistes modernes ait modifié en quoi que ce soit le problème fondamental. Surtout, la connaissance de la diversité indéfiniment grande des notions du juste et de l’injuste est tellement loin d’être incompatible avec l’idée du droit naturel qu’elle est la condition essentielle de l’émergence de cette idée : la prise de conscience de la diversité des notions du juste est le motif principal de la quête du droit naturel. Si le rejet du droit naturel au nom de l’histoire veut avoir un sens, il lui faut être une critique philosophique de la possibilité, ou de la connaissabilité, du droit naturel — une critique liée néanmoins d’une manière ou d’une autre à l’« histoire ».
Le fait de conclure de la diversité des notions du juste à l’inexistence du droit naturel est aussi ancien que la philosophie politique elle-même. La philosophie politique semble commencer avec l’affirmation selon laquelle la diversité des notions du droit prouve qu’il n’y a pas de droit naturel ou que tout droit est conventionnel[2]. Nous appellerons cette opinion le « conventionnalisme ». Pour clarifier la signification du rejet du droit naturel qui s’effectue aujourd’hui au nom de l’histoire, nous devons en premier lieu saisir la différence spécifique entre le conventionnalisme et « le sens historique » ou « la conscience historique » qui caractérisent la pensée du XIXe et du XXe siècle[3].
Le conventionnalisme présupposait que la distinction entre la nature et la convention est la distinction la plus fondamentale. Il sous-entendait que la nature a une dignité incomparablement supérieure à la convention ou au fiat de la société, ou que la nature est la norme. La thèse selon laquelle le droit et la justice sont conventionnels signifiait que le droit et la justice n’ont aucun fondement dans la nature, qu’ils sont en dernière analyse contre-nature, et qu’ils ont leur origine dans des décisions arbitraires, explicites ou implicites, prises par les communautés humaines : leur unique fondement est un certain type d’accord, et l’accord peut sans doute engendrer la paix, mais il ne saurait engendrer la vérité. En revanche, les adeptes de l’opinion historique moderne rejettent comme mythique la prémisse selon laquelle la nature est la norme ; ils rejettent la prémisse selon laquelle la nature a une dignité supérieure aux œuvres de l’homme quelles que soient ces œuvres. Au contraire, ils se représentent l’homme et ses œuvres, y compris les diverses notions qu’il se fait de la justice, comme tout aussi naturels que toutes les autres choses réelles, ou ils affirment un dualisme fondamental entre le royaume de la nature et le royaume de la liberté ou de l’histoire. Dans ce dernier cas, ils sous-entendent que le monde de l’homme, de la créativité humaine, s’élève très au-dessus de la nature. Conformément à cela, ils ne conçoivent pas les notions du juste et de l’injuste comme des notions fondamentalement arbitraires. Ils tentent de découvrir leurs causes ; ils tentent de rendre intelligible leur diversité et leur succession ; en les faisant remonter à des actes de liberté, ils soulignent la différence fondamentale entre la liberté et l’arbitraire.
Quelle est la signification de la différence entre l’opinion ancienne et l’opinion moderne? Le conventionnalisme est une forme particulière de la philosophie classique. Il existe évidemment de profondes différences entre le conventionnalisme et la position adoptée par Platon, par exemple. Mais ces adversaires classiques sont d’accord sur le point fondamental : ils admettent l’un et l’autre que la distinction entre la nature et la convention est fondamentale. Car l’idée même de philosophie implique cette distinction. Faire de la philosophie signifie s’élever de la caverne à la lumière du soleil, c’est-à-dire à la vérité. La caverne est le monde de l’opinion en tant qu’opposé au monde de la connaissance. L’opinion est essentiellement variable. Les hommes ne peuvent pas vivre, c’est-à-dire ils ne peuvent pas vivre ensemble, si un fiat social ne stabilise pas les opinions. L’opinion devient de la sorte une opinion qui fait autorité, ou un dogme populaire, ou une Weltanschauung [une “conception du monde”]. Faire de la philosophie signifie, par conséquent, s’élever du dogme populaire à une connaissance essentiellement privée. Le dogme populaire est originellement une tentative inadéquate pour répondre à la question de la vérité tout-englobante ou de la vérité de l’ordre éternel.[4] Toute opinion inadéquate sur l’ordre éternel est, du point de vue de l’ordre éternel, accidentelle ou arbitraire ; elle ne doit pas sa solidité à sa vérité intrinsèque, mais au fiat social ou à la convention. La prémisse fondamentale du conventionnalisme n’est donc pas autre chose que l’idée de philosophie entendue comme la tentative de saisir l’éternel. Les adversaires modernes du droit naturel rejettent précisément cette idée-là. Selon eux, toute pensée humaine est historique et par suite incapable de saisir jamais quoi que ce soit d’éternel. Tandis que, selon les Anciens, faire de la philosophie signifiait sortir de la caverne, selon nos contemporains, toute pratique de la philosophie appartient essentiellement à un « monde historique », à une « culture », à une « civilisation », à une « Weltanschauung », autrement dit à ce que Platon avait appelé la caverne. Nous appellerons cette opinion « historicisme ».
Nous avons remarqué auparavant que le rejet contemporain du droit naturel effectué au nom de l’histoire se fonde, non pas sur une preuve historique, mais sur une critique philosophique de la possibilité ou de la connaissabilité du droit naturel. Remarquons maintenant que la critique philosophique en question n’est pas particulièrement une critique du droit naturel ou des principes moraux en général. C’est une critique de la pensée humaine en tant que telle. Néanmoins, la critique du droit naturel a joué un rôle important dans la formation de l’historicisme.
L’historicisme est apparu au XIXe siècle à l’abri de la croyance selon laquelle il est possible de connaître l’éternel ou tout au moins de le pressentir. Mais il a peu à peu sapé la croyance qui l’avait abrité dans son enfance. Il a soudainement surgi au cours de notre vie sous sa forme adulte. Nous avons une compréhension insuffisante de la genèse de l’historicisme. Dans l’état présent de nos connaissances, il est difficile de dire à quel moment exact du développement moderne a eu lieu la rupture décisive avec l’approche « anhistorique » qui prévalait dans toute la philosophie antérieure. Pour avoir une orientation sommaire, il est commode de partir du moment où le mouvement jusque-là souterrain apparut à la surface et commença à dominer les sciences sociales en pleine lumière. Ce moment fut celui de l’émergence de l’école historique.
Les pensées qui guidaient l’école historique étaient très loin d’avoir un caractère purement théorique. L’école historique apparut en réaction à la Révolution Française et aux doctrines du droit naturel qui avaient préparé ce cataclysme. En s’opposant à la rupture violente avec le passé, l’école historique insista sur la sagesse de l’ordre traditionnel, et sur le besoin de le préserver ou de le continuer. Cela aurait pu être fait sans une critique du droit naturel en tant que tel. Car le droit naturel pré-moderne ne permettait certainement pas d’en appeler inconsidérément de l’ordre établi, ou de ce qui était en place ici et maintenant, à l’ordre naturel ou rationnel. Cependant, les fondateurs de l’école historique semblent avoir compris en quelque manière que l’acceptation de principes universels ou abstraits quels qu’ils soient a nécessairement un effet révolutionnaire, perturbateur et désordonné au moins dans le domaine de la pensée, et que cet effet est entièrement indépendant de la question de savoir si les principes en question autorisent, en général, une ligne d’action conservatrice ou révolutionnaire. Car la reconnaissance de principes universels force l’homme à juger l’ordre établi, ou ce qui est ici et maintenant en place, à partir de l’ordre naturel ou rationnel ; et ce qui est ici et maintenant en place a plus de chances d’être inférieur à la norme universelle et immuable que l’inverse[5]. La reconnaissance de principes universels tend ainsi à empêcher les hommes d’accepter l’ordre social que le destin leur a attribué, ou de s’y identifier entièrement. Elle tend à les détacher du lieu où ils se trouvent sur la terre. Elle tend à en faire des étrangers, et même des étrangers sur la terre.
En niant l’importance, sinon l’existence, de normes universelles, les éminents conservateurs qui ont fondé l’école historique poursuivaient en fait, et même accentuaient l’entreprise révolutionnaire de leurs adversaires. Cette entreprise était inspirée par une notion particulière du naturel. Elle était dirigée à la fois contre le non-naturel ou conventionnel, et contre le surnaturel et les choses de l’autre monde. Les révolutionnaires supposaient, pouvons-nous dire, que le naturel est toujours individuel et que par conséquent tout ce qui est uniforme est contre-nature ou conventionnel. L’individu humain devait être libéré ou se libérer lui-même afin de pouvoir rechercher, non pas seulement son bonheur, mais sa propre conception du bonheur. Cela signifiait, néanmoins, qu’un seul but universel et uniforme était assigné à tous les hommes : le droit naturel de chaque individu était un droit appartenant uniformément à chaque homme en tant qu’homme. Mais l’uniformité était dite contre-nature et donc mauvaise. Il était évidemment impossible d’individualiser les droits en se conformant parfaitement à la diversité naturelle des individus. Et les seuls genres de droits à n’être ni incompatibles avec la vie sociale ni uniformes étaient les droits « historiques » : les droits des Anglais, par exemple, par opposition aux droits de l’Homme. La diversité dans le temps et dans l’espace semblait fournir un fondement intermédiaire sûr et solide entre l’individualisme anti-social et l’universalité contraire à la nature. L’école historique n’a pas découvert la diversité des notions de justice selon les lieux et selon les temps : on n’a guère besoin de découvrir ce qui saute aux yeux. Tout au plus pourrait-on dire qu’elle découvrit la valeur, le charme, la douceur familière de ce qui est local et temporel, ou qu’elle découvrit la supériorité de ce qui est limité localement et temporellement sur l’universel. Il serait plus prudent de dire que, radicalisant la tendance d’hommes comme Rousseau, l’école historique affirma que ce qui est localement et temporellement limité a une plus grande valeur que ce qui est universel. En conséquence, ce qui se prétendait universel apparut en fin de compte comme dérivé de quelque chose de localement et temporellement limité, comme ce qui est local et temporel in statu evanescendi. L’enseignement de la loi naturelle des Stoïciens, par exemple, pouvait vraisemblablement apparaître comme un simple reflet en un temps déterminé d’un état temporel particulier d’une société particulière située en un lieu déterminé : la désintégration de la cité grecque.
L’entreprise des révolutionnaires était dirigée contre tout au-delà[6] ou toute transcendance. La transcendance n’est pas l’apanage exclusif de la religion révélée. En un sens très important, elle était présente implicitement dans la signification originelle de la philosophie politique sous les espèces de la quête de l’ordre politique le meilleur ou conforme à la nature. Le meilleur régime, tel que l’entendaient Platon et Aristote, est et veut être, dans la plupart des cas, différent de ce qui existe ici et maintenant, ou au-delà de tout ordre effectif. La manière dont on comprit le « progrès » au XVIIIe siècle modifia profondément cette opinion sur la transcendance du meilleur ordre politique, mais elle persista néanmoins dans cette notion du XVIIIesiècle elle-même. Autrement, les théoriciens de la Révolution Française n’auraient pas pu condamner tous les ordres sociaux qui ont jamais existé, ou presque. En niant l’importance, sinon l’existence, de normes universelles, l’école historique a anéanti le seul fondement solide de tous les efforts entrepris pour dépasser le donné. On peut par conséquent caractériser l’historicisme comme une forme beaucoup plus extrême de l’attachement moderne à ce monde et à lui seul que ne l’avait été le radicalisme français du XVIIIe siècle. Assurément, tout s’est passé comme si l’historicisme avait cherché à faire en sorte que les hommes se sentent absolument chez eux « en ce monde ». Parce que tous les principes universels ont tendance à déraciner la plupart des hommes, au moins potentiellement, l’historicisme se détourna des principes universels et se tourna vers les principes historiques. Il croyait que, en comprenant leur passé, leur héritage, leur situation historique, les hommes pourraient parvenir à des principes qui seraient tout aussi objectifs que ceux que la philosophie politique ancienne, pré-historiciste avait prétendu tels, et à des principes qui, en outre, ne seraient ni abstraits ni universels, et par suite nuisibles à une action sage ou à une vie véritablement humaine, des principes qui seraient néanmoins concrets ou particuliers — adaptés à l’époque particulière ou à la nation particulière envisagée, des principes relatifs à cette époque particulière ou à cette nation particulière.
En tentant de découvrir des critères qui, tout en étant objectifs, soient relatifs à des situations historiques particulières, l’école historique a accordé une importance beaucoup plus grande aux études historiques que celle qu’elles avaient jamais eue. Cependant, sa notion de ce que l’on pouvait attendre des études historiques n’était pas le résultat d’études historiques, mais de suppositions qui venaient directement ou indirectement de la doctrine du droit naturel du XVIIIe siècle. L’école historique supposa l’existence d’un esprit de chaque peuple ; autrement dit, elle supposa que les nations ou les groupes ethniques constituent des unités naturelles, ou elle supposa l’existence de lois générales de l’évolution historique, ou encore elle combina ces deux suppositions. Il apparut bientôt qu’il y avait un conflit entre les suppositions qui avaient donné l’impulsion décisive aux études historiques et les résultats, et les exigences, d’une compréhension historique authentique. Au moment où ces suppositions furent abandonnées, l’historicisme était sorti de l’enfance.
L’historicisme apparut désormais comme une forme particulière du positivisme, c’est-à-dire de l’école qui soutenait que la science positive avait remplacé définitivement la théologie et la métaphysique ou qui identifiait la connaissance authentique de la réalité à la connaissance fournie par les sciences empiriques. Le positivisme proprement dit avait défini le mot « empirique » en fonction des procédures des sciences naturelles. Mais il y eut un contraste frappant entre la manière dont le positivisme proprement dit traitait les sujets historiques et la manière dont les traitaient les historiens procédant effectivement de façon empirique. Dans l’intérêt précisément de la connaissance empirique, il devint nécessaire d’insister pour que les méthodes de la science naturelle ne soient pas tenues pour la norme dans les études historiques. De plus, ce que la psychologie et la sociologie « scientifiques » avaient à dire au sujet de l’homme se révéla pauvre et insignifiant comparé à ce que pouvaient nous apprendre les grands historiens. Ainsi en vint-on à penser que l’histoire fournissait la seule connaissance empirique, et donc la seule connaissance solide, de ce qui est véritablement humain, de l’homme en tant qu’homme : de sa grandeur et de sa misère. Dans la mesure où toutes les activités humaines partent de l’homme et y reviennent, l’étude empirique de l’humanité pouvait sembler justifiée dans sa prétention à une dignité plus haute que toutes les autres études de la réalité. L’histoire — l’histoire détachée de toute présupposition équivoque ou métaphysique — devint la plus haute autorité.
Mais l’histoire se révéla totalement incapable de tenir la promesse que l’école historique avait faite. L’école historique avait réussi à discréditer les principes universels ou abstraits ; elle avait pensé que les études historiques mettraient au jour des critères particuliers ou concrets. Cependant, l’historien sans préjugés dut reconnaître son incapacité à tirer de l’histoire quelque norme que ce soit : aucune norme objective ne subsistait. L’école historique avait obscurci le fait que les critères particuliers ou historiques ne peuvent être décisifs que si l’on se fonde sur un principe universel qui impose à l’individu l’obligation d’accepter les critères suggérés par la tradition ou par la situation qui l’a façonné, ou de s’y soumettre. Cependant, aucun principe universel ne justifiera jamais l’acceptation de tous les critères historiques ou de toutes les causes victorieuses : se conformer à la tradition ou sauter hâtivement dans le bateau de l’avenir n’est manifestement pas toujours meilleur, et n’est certainement pas toujours mieux que brûler ce qu’on a adoré ou que résister au « courant de l’histoire ». Ainsi, tous les critères suggérés par l’histoire en tant que telle se révélèrent fondamentalement ambigus, et il fut par conséquent impossible de les considérer comme des critères. Pour l’historien sans préjugés, « le processus historique » se révéla comme un tissu dépourvu de signification constitué tout autant par ce que les hommes ont fait, produit et pensé, que par le pur hasard — a tale told by an idiot*. Les critères historiques, les critères que ce processus dépourvu de signification a bâtis à la hâte, ne pouvaient plus prétendre être sanctifiés par des puissances sacrées cachées derrière ce processus. Les seuls critères qui subsistaient avaient un caractère purement subjectif, ils n’avaient pas d’autre fondement que le libre choix de l’individu. A partir de là, aucun critère objectif ne permettait plus de distinguer entre les bons et les mauvais choix. L’historicisme atteignit son point culminant dans le nihilisme. La tentative pour faire que l’homme soit absolument chez lui dans ce monde a ainsi abouti à ce que l’homme perde absolument tout « chez soi ».
L’opinion selon laquelle « le processus historique » est un tissu dépourvu de sens ou selon laquelle ce qu’on nomme « le processus historique » n’existe en aucune manière n’était pas nouvelle. C’était fondamentalement l’opinion classique. En dépit d’une opposition considérable venue de différents côtés, elle était encore puissante au XVIIIe siècle. La conséquence nihiliste de l’historicisme aurait pu suggérer un retour à l’opinion ancienne, pré-historiciste. Mais l’échec manifeste du but pratique de l’historicisme, qui était de donner à la vie une orientation meilleure et plus solide que la pensée pré-historiciste du passé, n’a pas réduit à néant le prestige de la prétendue découverte théorique de l’historicisme. L’état d’esprit engendré par l’historicisme et par son échec pratique fut interprété comme l’expérience sans précédent de la vraie situation de l’homme en tant qu’homme — d’une situation que l’homme antérieur s’était caché à lui-même en se fiant à des principes universels et immuables. En opposition à l’opinion de leurs prédécesseurs, les historicistes persistèrent à attribuer une importance décisive à l’opinion sur l’homme qui découle des études historiques, lesquelles en tant que telles portent particulièrement et principalement, non sur le permanent et l’universel, mais sur le variable et l’unique. L’histoire en tant qu’histoire semble nous présenter le spectacle déprimant d’une diversité scandaleuse de pensées et de croyances et, surtout, de la disparition successive de toutes les pensées et de toutes les croyances que les hommes ont nourries et partagées. Elle semble montrer que toute pensée humaine dépend de contextes historiques singuliers, eux-mêmes précédés par des contextes plus ou moins différents, qui surgissent de leurs antécédents d’une manière fondamentalement imprévisible : des expériences ou des décisions imprévisibles posent les bases de la pensée humaine. Dans la mesure où toute pensée humaine appartient à une situation historique spécifique, toute pensée humaine est vouée à périr avec la situation à laquelle elle appartient, et à être remplacée par des pensées nouvelles et imprévisibles.
La thèse historiciste se présente aujourd’hui comme largement soutenue par l’évidence historique, ou même comme exprimant un fait qui saute aux yeux. Mais si le fait saute à ce point aux yeux, il est difficile de comprendre comment il a pu échapper à la perspicacité des hommes les plus réfléchis du passé. En ce qui concerne l’évidence historique, elle est clairement insuffisante pour étayer la thèse historiciste. L’histoire nous enseigne qu’une opinion donnée à été abandonnée par tous les hommes, ou par tous les hommes compétents, ou peut-être seulement par les hommes qui ont fait le plus de bruit, en faveur d’une autre ; elle ne nous enseigne pas que ce changement était fondé ou que l’opinion rejetée méritait de l’être. Seule une analyse impartiale de l’opinion en question — une analyse qui ne serait pas aveuglée par la victoire des adeptes de l’opinion en question, et qui ne serait pas non plus accablée par leur défaite — pourrait nous enseigner quelque chose sur la valeur de cette opinion, et par conséquent sur la signification du changement historique considéré. Si l’on veut que la thèse historiciste ait une solidité quelconque, elle doit se fonder non pas sur l’histoire, mais sur la philosophie : sur une analyse philosophique prouvant que toute la pensée humaine dépend en dernière instance d’un destin capricieux et obscur et non de principes accessibles à l’homme en tant qu’homme. La couche fondamentale de cette analyse philosophique est une « critique de la raison » qui prétend apporter la preuve de l’impossibilité de la métaphysique théorique, de l’éthique philosophique ou du droit naturel. Une fois que toutes les opinions métaphysiques et éthiques pourront être tenues, à strictement parler, pour insoutenables, c’est-à-dire, insoutenables du point de vue de leur prétention à être purement et simplement vraies, leur destin historique apparaîtra nécessairement comme mérité. La tâche de faire remonter la prédominance, en des temps différents, d’opinions métaphysiques et éthiques différentes, aux époques mêmes en lesquelles elles prédominèrent, devient alors une tâche recevable. Mais cela laisse néanmoins intacte l’autorité des sciences positives. La deuxième couche de l’analyse philosophique qui sous-tend l’historicisme consiste à prouver que les sciences positives elles-mêmes reposent sur des fondements métaphysiques.
Prise en elle-même, cette critique philosophique de la pensée philosophique et scientifique — qui prend la suite des efforts de Hume et de Kant, devrait conduire au scepticisme. Mais le scepticisme et l’historicisme sont deux choses entièrement différentes. Le scepticisme se tient fondamentalement pour aussi ancien que la pensée humaine elle-même ; l’historicisme, lui, se considère comme appartenant à une situation historique spécifique. Pour le sceptique, toutes les affirmations sont incertaines et par conséquent essentiellement arbitraires ; pour l’historiciste, les affirmations qui prédominent en des temps différents et en des civilisations différentes sont très loin d’être arbitraires. L’historicisme est issu d’une tradition non-sceptique — de la tradition moderne qui tenta de définir les limites de la connaissance humaine et qui reconnaissait en conséquence que, dans certaines limites, la connaissance authentique est possible. Par opposition à tout scepticisme, l’historicisme repose au moins en partie sur une critique de la pensée humaine qui prétend être l’expression de ce que l’on nomme « l’expérience de l’histoire ».
Aucun homme compétent de notre époque ne considérerait comme purement et simplement vrai l’ensemble de l’enseignement de n’importe quel penseur du passé. A chaque fois, l’expérience a montré que l’initiateur de l’enseignement considérait comme allant de soi des choses qui n’auraient pas dû être considérées comme allant de soi, ou qu’il ne connaissait pas certains faits ou certaines possibilités que l’on a découverts à une époque ultérieure. Jusqu’à maintenant, toute pensée s’est révélée avoir besoin de révisions radicales, ou être imparfaite ou limitée sur des points décisifs. Bien plus, en regardant vers le passé, il nous semble remarquer que tout progrès de la pensée dans une direction a été payé d’une régression de la pensée à un autre point de vue : lorsqu’un progrès de la pensée a surmonté une limitation donnée, en conséquence de ce progrès, on a invariablement oublié des découvertes importantes antérieures. Dans l’ensemble, il n’y a eu par conséquent aucun progrès, mais simplement un passage d’un genre de limitation à un autre genre de limitation. Finalement, il nous semble constater que les limitations les plus importantes de la pensée antérieure étaient d’une nature telle qu’elles n’auraient aucunement pu être surmontées par un effort quelconque des penseurs antérieurs ; sans parler d’autres considérations, tout effort de pensée qui a permis de surmonter des limitations spécifiques a conduit à l’aveuglement sur d’autres points. Il est raisonnable de supposer que ce qui s’est invariablement passé jusqu’à présent arrivera encore et toujours dans l’avenir. La pensée humaine est essentiellement limitée de telle sorte que ses limitations diffèrent d’une situation historique à l’autre et qu’aucun effort humain quel qu’il soit ne puisse surmonter la limitation caractéristique de la pensée d’une époque. Il y a toujours eu et il y aura toujours des changements de perspective surprenants, entièrement inattendus, qui modifient radicalement la signification de toute la connaissance acquise antérieurement. Aucune opinion sur le Tout, et en particulier aucune opinion sur le tout de la vie humaine, ne peut prétendre être ultime ou universellement valide. Toute doctrine, si ultime qu’elle paraisse, sera remplacée tôt ou tard par une autre doctrine. Il n’y a aucune raison de douter que les penseurs antérieurs aient fait des découvertes qui nous sont totalement inaccessibles et qui ne peuvent nous devenir accessibles, quel que soit le soin avec lequel nous pourrions étudier leurs œuvres, parce que nos limitations nous empêchent ne serait-ce que de soupçonner la possibilité des découvertes en question. Dans la mesure où les limitations de la pensée humaine sont essentiellement inconnaissables, il est absurde de se les représenter comme dépendantes des conditions sociales, économiques ou autres, c’est-à-dire, comme des phénomènes connaissables ou analysables ; c’est le destin qui fixe les limites de la pensée humaine.
L’argumentation historiciste a quelque plausibilité, que l’on peut facilement expliquer par la prépondérance du dogmatisme dans le passé. Il ne nous est pas permis d’oublier le verdict de Voltaire : « nous avons des bacheliers qui savent tout ce que ces grands hommes ignoraient »[7]. Cela mis à part, de nombreux penseurs de premier rang ont proposé des doctrines tout-englobantes qu’ils tenaient pour ultimes à tous les points de vue importants, et qui se sont invariablement révélées avoir besoin d’une révision radicale. Nous devons par conséquent faire bon accueil à l’historicisme comme à un allié dans notre combat contre le dogmatisme. Mais le dogmatisme — ou la tendance « à identifier le but de notre pensée et le point au-delà duquel nous n’avons plus eu la force de penser »[8] — est si naturel à l’homme qu’il a bien peu de chances d’être l’apanage exclusif du passé. Nous sommes donc forcés de nous demander si l’historicisme n’est pas la forme que revêt le dogmatisme à notre époque. Il nous semble que ce que l’on appelle « l’expérience de l’histoire » est une opinion sommaire sur l’histoire de la pensée issue de l’influence combinée de la croyance au caractère inéluctable du progrès (ou à l’impossibilité de revenir à la pensée du passé) et de la croyance en la valeur suprême de la diversité ou de la singularité (ou du droit égal de toutes les époques ou de toutes les civilisations). L’historicisme radical ne semble plus avoir besoin de ces croyances. Mais il n’a jamais examiné si « l’expérience » à laquelle il se réfère n’est pas le produit de ces croyances contestables.
En parlant de l’« expérience » de l’histoire, certains sous-entendent que cette « expérience » est une découverte générale née de la connaissance historique, mais que l’on ne saurait la réduire à la connaissance historique. Car la connaissance historique est toujours extrêmement fragmentaire et elle est fréquemment très incertaine, tandis que cette prétendue expérience est supposée globale et certaine. Cependant, on peut difficilement contester que cette prétendue expérience repose en dernière analyse sur un certain nombre d’observations historiques. La question est par conséquent de savoir si ces observations autorisent à affirmer que l’acquisition de nouvelles découvertes importantes conduit nécessairement à l’oubli de découvertes importantes antérieures, et que les penseurs antérieurs n’auraient pu aucunement penser certaines possibilités fondamentales qui, à des époques ultérieures, vinrent au centre de l’attention. Il est manifestement faux de dire, par exemple, qu’Aristote n’aurait pas pu concevoir l’injustice de l’esclavage, car il l’a fort bien conçue. On peut dire, cependant, qu’il n’aurait pu concevoir un Etat mondial. Mais pourquoi? L’Etat mondial présuppose un développement de la technique dont Aristote n’aurait jamais pu rêver. Ce développement technique, à son tour, requiert que l’on considère la science comme essentiellement au service de la « conquête de la nature » et que l’on émancipe la technique de tout contrôle moral et politique. Aristote n’a pas envisagé un Etat mondial parce qu’il était absolument certain que la science est une activité essentiellement théorique et que l’émancipation de la technique de tout contrôle moral et politique conduirait à des conséquences désastreuses : la fusion de la science et des arts avec un progrès illimité ou incontrôlé de la technique a fait de l’éventualité d’une tyrannie universelle et perpétuelle une possibilité réelle. Seul un homme irréfléchi pourrait dire que l’opinion d’Aristote — c’est-à-dire, ses réponses à la question de savoir si la science est ou non essentiellement théorique et à celle de savoir si le progrès technique a ou non besoin d’un contrôle moral et politique strict — a été réfutée. Mais quoi que l’on puisse penser de ses réponses, assurément les questions fondamentales auxquelles elles répondent sont identiques aux questions fondamentales qui sont notre souci immédiat aujourd’hui. Et si nous nous en rendons compte, nous nous rendons compte en même temps que l’époque qui a considéré les questions fondamentales d’Aristote comme dépassées était totalement dépourvue de la conscience claire de ce que sont les problèmes fondamentaux.
Loin de légitimer la conclusion historiciste, l’histoire semble plutôt prouver que toute la pensée humaine, et assurément toute la pensée philosophique, s’intéresse aux mêmes thèmes fondamentaux ou aux mêmes problèmes fondamentaux, et par conséquent qu’il existe un cadre invariable qui persiste après toutes les modifications de la connaissance humaine tant en ce qui concerne les faits qu’en ce qui concerne les principes. Cette affirmation est manifestement compatible avec le fait que la conscience claire de ces problèmes, leur approche et les solutions suggérées, diffèrent plus ou moins d’un penseur à un autre ou d’une époque à une autre. Si les problèmes fondamentaux persistent après chaque changement historique, la pensée humaine est capable de dépasser sa limitation historique ou de saisir quelque chose de trans-historique. Et il en serait ainsi même s’il était vrai que toutes les tentatives de résoudre ces problèmes sont vouées à l’échec et qu’elles sont vouées à l’échec à cause de l’« historicité » de « toute » la pensée humaine.
En rester là reviendrait cependant à considérer la cause du droit naturel comme désespérée. Il ne pourrait y avoir de droit naturel si le problème du droit était la seule chose que l’homme pouvait connaître au sujet du droit, ou si la question des principes de la justice admettait une diversité de réponses mutuellement exclusives, dont aucune ne pourrait être prouvée supérieure aux autres. Il ne peut y avoir de droit naturel si la pensée humaine, en dépit de son inachèvement essentiel, n’est pas capable de résoudre le problème des principes de la justice d’une manière véritable et donc universellement valable. En termes plus généraux, il ne peut y avoir de droit naturel si la pensée humaine n’est pas capable d’acquérir une connaissance véritablement ultime, universellement valable, à l’intérieur d’un domaine limité, ou une connaissance véritable de certains sujets. L’historicisme ne peut nier cette éventualité. Car sa propre thèse implique la reconnaissance de cette éventualité. En affirmant que toute la pensée humaine, ou du moins toute pensée humaine, est historique, l’historicisme reconnaît que la pensée humaine est capable de faire une découverte de la plus haute importance, qui soit universellement valable et qu’aucune surprise de l’avenir n’affectera d’aucune manière. La thèse historiciste n’est pas une affirmation isolée : elle est inséparable d’une opinion concernant la structure essentielle de la vie humaine. Cette opinion a le même caractère trans-historique, ou elle prétend à la même valeur trans-historique, que toute doctrine du droit naturel.
La thèse historiciste est par conséquent exposée à une difficulté très manifeste que des considérations d’un caractère plus complexe ne sauraient résoudre, mais seulement esquiver ou obscurcir. L’historicisme affirme que toutes les pensées ou les croyances humaines sont historiques, et donc vouées à juste titre à disparaître ; mais l’historicisme lui-même est une pensée humaine ; par suite, l’historicisme ne peut avoir qu’une validité temporaire, il ne peut pas être purement et simplement vrai. Affirmer la thèse historiciste signifie par conséquent en même temps la mettre en doute et ainsi la dépasser. En fait, l’historicisme prétend avoir mis en lumière une vérité permanente, une vérité valide pour toute pensée, pour tous les temps : si grands que soient et que seront les changements de la pensée, elle demeurera toujours historique. Du point de vue de la découverte décisive du caractère essentiel de toute la pensée humaine et donc du caractère essentiel ou des limites de l’humanité, l’histoire est parvenue à son terme. L’historiciste n’est pas impressionné par la perspective de l’éventuel remplacement, en un temps approprié, de l’historicisme par une négation de l’historicisme. Il est convaincu qu’un tel changement équivaudrait à une rechute de la pensée humaine dans son illusion la plus puissante. L’historicisme prospère parce qu’il s’exempte, contre toute rigueur, du verdict qu’il prononce au sujet de toute pensée humaine. La thèse historiciste est contradictoire ou absurde. Nous ne pouvons pas en effet nous rendre compte du caractère historique de « toute » pensée — c’est-à-dire, de toute pensée à l’exception de la découverte historiciste et de ses implications — sans dépasser l’histoire, sans saisir quelque chose de trans-historique.
Si nous appelons toute pensée radicalement historique une « vision globale du monde » [ou une « conception du monde »] ou une partie d’une telle vision, il nous faut dire : l’historicisme n’est pas lui-même une vision globale du monde, mais une analyse de toutes les visions globales du monde, qui expose le caractère essentiel de toutes les visions de ce type. La pensée qui prend connaissance de la relativité de toutes les visions globales a un caractère différent de la pensée qui est prisonnière d’une vision globale ou qui l’adopte. La première est absolue et neutre ; la dernière est relative et engagée. La première est une découverte théorique qui dépasse l’histoire ; la dernière est le résultat d’un arrêt du destin.
L’historiciste radical refuse de reconnaître le caractère trans-historique de la thèse historiciste. En même temps, il reconnaît l’absurdité de l’historicisme inconditionnel en tant que thèse théorique. Il nie, par conséquent, la possibilité d’une analyse théorique ou objective, laquelle en tant que telle serait trans-historique, des diverses opinions globales ou des divers « mondes historiques » ou des diverses « cultures ». Cette négation fut de façon décisive préparée par l’attaque de Nietzsche contre l’historicisme du XIXe siècle, qui prétendait être une opinion théorique. Selon Nietzsche, l’analyse théorique de la vie humaine qui prend conscience de la relativité de toutes les opinions globales, et qui de la sorte les dévalue, rend la vie humaine elle-même impossible, car elle détruit l’atmosphère protectrice indispensable à la vie, à la culture ou à l’action. Bien plus, dans la mesure où l’analyse théorique a son fondement en dehors de la vie, elle ne sera jamais en mesure de comprendre la vie. L’analyse théorique de la vie est détachée et elle est fatale à tout engagement ; or la vie est engagement. Pour conjurer le danger qui menaçait la vie, Nietzsche pouvait choisir l’une des deux voies suivantes : il pouvait souligner le caractère strictement ésotérique de l’analyse théorique de la vie — c’est-à-dire, retrouver la notion platonicienne du noble mensonge —, ou il pouvait nier la possibilité de la théorie proprement dite, et se représenter la pensée comme essentiellement au service, ou comme essentiellement dépendante, de la vie ou du destin. Sinon Nietzsche lui-même, du moins ses successeurs ont adopté la deuxième solution[9].
On peut formuler de la manière suivante la thèse de l’historicisme radical. Toute compréhension, toute connaissance, si limitée et « scientifique » soit-elle, présuppose un cadre de référence ; elle présuppose un horizon, une opinion globale dans laquelle la compréhension et la connaissance sont situées. Seule une telle vision globale rend possibles un point de vue particulier, une observation particulière, une orientation particulière, quels qu’ils soient. Le raisonnement ne peut valider l’opinion globale sur le Tout, puisque cette opinion est le fondement de tout raisonnement. Conformément à cela, il existe une diversité de telles opinions globales, chacune aussi légitime que n’importe quelle autre : il nous faut choisir une telle opinion sans aucune direction rationnelle. Il est absolument nécessaire d’en choisir une ; la neutralité ou la suspension du jugement est impossible. Notre choix n’a d’autre soutien que lui-même ; aucune certitude théorique ou objective ne le soutient ; seul notre choix tire cette opinion du néant, de l’absence totale de signification. A strictement parler, nous ne pouvons pas choisir entre des opinions différentes. Le destin nous impose une opinion globale singulière : le destin de l’individu ou de sa société engendre l’horizon dans lequel ont lieu toute compréhension et toute orientation. Toute la pensée humaine dépend du destin, de quelque chose que la pensée ne peut pas maîtriser et dont elle ne peut anticiper la marche. Cependant, l’horizon engendré par le destin repose en dernière analyse sur le choix de l’individu, dans la mesure où ce destin doit être accepté par l’individu. Nous sommes libres au sens où nous pouvons, choisir dans l’angoisse la vision du monde et les critères que nous impose le destin, ou nous perdre en nous abandonnant à une sécurité illusoire ou au désespoir.
L’historiciste radical affirme par conséquent que la pensée engagée ou « historique » ne se révèle qu’à une pensée elle-même autrement engagée ou autrement « historique », et, surtout, que la vraie signification de l’« historicité » de toute pensée authentique ne se révèle qu’à une pensée elle-même engagée ou « historique ». La thèse historiciste est l’expression d’une expérience fondamentale, qui, par sa nature, ne peut être exprimée adéquatement au niveau de la pensée non-engagée ou détachée. L’évidence de cette expérience peut être brouillée, elle ne peut être anéantie par les difficultés logiques inévitables dont souffre toute expression de telles expériences. En considération de son expérience fondamentale, l’historiciste radical nie que le caractère ultime et, en ce sens, trans-historique, de la thèse historiciste rende contestable le contenu de cette thèse. La découverte ultime et irrévocable du caractère historique de toute pensée ne dépasserait l’histoire que si cette découverte était accessible à l’homme en tant qu’homme, et, par suite, en principe, en tous les temps ; mais elle ne dépasse pas l’histoire si elle appartient essentiellement à une situation historique spécifique. Or, elle appartient à une situation historique spécifique : cette situation n’est pas simplement la condition de la découverte historiciste, elle en est la source[10].
Toutes les doctrines du droit naturel prétendent que les fondements de la justice sont, en principe, accessibles à l’homme en tant qu’homme. Elles présupposent, par conséquent, qu’en principe, l’homme en tant qu’homme peut parvenir à une vérité de la plus haute importance. L’historicisme radical, niant cette présupposition, affirme que la découverte fondamentale de la limitation essentielle de toute pensée humaine n’est pas accessible à l’homme en tant qu’homme, ou qu’elle n’est pas le résultat du progrès ni du labeur de la pensée humaine, mais qu’il s’agit du don imprévisible d’un destin insondable. C’est au destin que nous devons de nous rendre compte aujourd’hui de la dépendance de la pensée par rapport au destin, ce dont on ne se rendait pas compte à d’autres époques. L’historicisme a ceci en commun avec toutes les autres pensées qu’elle dépend du destin. Il en diffère en ce que, grâce au destin, il lui a été donné à lui de comprendre la dépendance radicale de la pensée par rapport au destin. Nous ignorons absolument les surprises que le destin peut réserver aux générations ultérieures, et le destin peut bien dans l’avenir cacher ce qu’il nous a révélé ; mais cela ne modifie pas la vérité de cette révélation. On n’a pas besoin de dépasser l’histoire pour se rendre compte du caractère historique de toute pensée : il existe un moment privilégié, un moment absolu dans le processus historique, un moment dans lequel le caractère essentiel de toute pensée devient visible. En s’exemptant de son propre verdict, l’historicisme prétend simplement refléter le caractère de la réalité historique ou se conformer aux faits ; il faut donc imputer le caractère contradictoire de la thèse historiciste à la réalité, non à l’historicisme.
La supposition d’un moment absolu de l’histoire est essentielle à l’historicisme. En cela, l’historicisme se conforme subrepticement à ce qui fut exposé de façon classique par Hegel. Hegel avait enseigné que toute philosophie est l’expression conceptuelle de l’esprit de son temps, et cependant, il avait maintenu la vérité absolue de son propre système de philosophie en attribuant un caractère absolu à son propre temps ; il avait supposé que son propre temps était la fin de l’histoire, et donc le moment absolu. L’historicisme nie explicitement que la fin de l’histoire soit advenue, mais implicitement il affirme le contraire : aucun changement futur possible d’orientation ne peut légitimement rendre contestable la découverte décisive de la dépendance inévitable de la pensée par rapport au destin, et avec elle du caractère essentiel de la vie humaine ; du point de vue décisif, la fin de l’histoire, c’est-à-dire, la fin de l’histoire de la pensée, est advenue. Mais on ne peut pas supposer simplement que l’on vit ou que l’on pense au moment absolu ; on doit montrer, en quelque manière, comment l’on peut reconnaître le moment absolu en tant que tel. Selon Hegel, le moment absolu est le moment dans lequel la philosophie, ou la quête de la sagesse, s’est transformée en sagesse, c’est-à-dire, le moment dans lequel les énigmes fondamentales ont été pleinement résolues. L’historicisme, cependant, repose entièrement sur la négation de la possibilité de la métaphysique théorique, de l’éthique philosophique et du droit naturel ; il repose entièrement sur la négation de la possibilité de résoudre les énigmes fondamentales. Selon l’historicisme, par conséquent, le moment absolu doit être le moment dans lequel le caractère insoluble des énigmes fondamentales est devenu pleinement évident, ou le moment dans lequel l’illusion fondamentale de l’esprit humain a été dissipée.
Mais on pourrait se rendre compte du caractère insoluble des énigmes fondamentales et continuer pourtant à voir dans la compréhension de ces énigmes la tâche de la philosophie ; on remplacerait ainsi simplement une philosophie non-historiciste et dogmatique par une philosophie non-historiciste et sceptique. L’historicisme dépasse le scepticisme. Il suppose que la philosophie, au sens plein et originel du terme, à savoir, la tentative de remplacer les opinions sur le Tout par une connaissance du Tout, est non seulement incapable de parvenir à son but, mais encore absurde, parce que l’idée même de la philosophie repose sur des prémisses dogmatiques, c’est-à-dire arbitraires, ou, plus précisément, sur des prémisses qui sont seulement « historiques et relatives ». Car évidemment, si la philosophie, ou la tentative de remplacer les opinions par la connaissance, repose elle-même sur de simples opinions, la philosophie est dépourvue de sens.
Les tentatives les plus influentes pour établir le caractère dogmatique et par suite arbitraire ou historiquement relatif de la philosophie proprement dite procèdent de la manière suivante. La philosophie, ou la tentative de remplacer les opinions sur le Tout par une connaissance du Tout, présuppose que le Tout est connaissable, c’est-à-dire intelligible. Cette présupposition conduit à la conséquence que le Tout tel qu’il est en lui-même est identifié au Tout en tant qu’intelligible ou en tant que susceptible de devenir un objet ; elle conduit à l’identification de « être » et de « intelligible » ou « objet » ; elle conduit au mépris dogmatique de tout ce qui ne peut pas devenir objet, c’est-à-dire objet pour le sujet connaissant, ou au mépris dogmatique de tout ce que le sujet ne peut pas maîtriser. En outre, dire que le Tout est connaissable ou intelligible revient à dire que le Tout a une structure permanente ou que le Tout en tant que tel est invariable ou toujours le même. Si tel est le cas, il est, en principe, possible de prévoir comment le Tout sera à n’importe quel moment de l’avenir : la pensée peut anticiper le futur du Tout. Cette présupposition est dite avoir sa racine dans l’identification dogmatique de « être » au sens le plus élevé à « être toujours », ou dans le fait que la philosophie comprend l’« être » en un sens tel que « être » au sens le plus élevé doit signifier « être toujours ». Le caractère dogmatique de la prémisse fondamentale de la philosophie aurait été révélée par la découverte de l’histoire ou de l’« historicité » de la vie humaine. La signification de cette découverte peut être exprimée en des thèses comme celles-ci : ce que l’on nomme le Tout est en fait toujours inachevé et par conséquent il n’est pas vraiment un Tout ; le Tout est essentiellement variable de telle sorte que l’on ne peut pas prévoir son avenir ; le Tout tel qu’il est en lui-même ne pourra jamais être compris, ou il n’est pas intelligible ; la pensée humaine dépend essentiellement de quelque chose que l’on ne peut pas anticiper ou qui ne peut jamais être un objet ou que le sujet ne peut jamais maîtriser ; « être » au sens le plus élevé ne saurait signifier — ou en tout cas, il ne signifie pas nécessairement — « être toujours ».
Nous ne pouvons ne serait-ce que tenter un examen de ces thèses. Il nous faut les abandonner en observant la chose suivante. L’historicisme radical nous contraint à comprendre la portée du fait que l’idée même de droit naturel présuppose la possibilité de la philosophie dans la signification pleine et première du terme. Il nous contraint en même temps à nous rendre compte du besoin d’une reconsidération sans préjugés des prémisses les plus élémentaires dont la philosophie présuppose la validité. On ne peut évacuer la question de la validité de ces prémisses en adoptant une tradition de philosophie plus ou moins persistante ou en s’y cramponnant, car il est de l’essence des traditions qu’elles recouvrent ou voilent leurs humbles fondations en érigeant sur elles des constructions impressionnantes. On ne doit rien dire ni faire qui puisse donner l’impression qu’une reconsidération impartiale des prémisses les plus élémentaires de la philosophie est simplement l’affaire d’universitaires ou d’historiens. Avant une telle reconsidération, cependant, le problème du droit naturel ne peut que rester en suspens.
Car nous ne pouvons pas supposer que l’historicisme ait en fin de compte résolu le problème. L’« expérience de l’histoire » et l’expérience moins équivoque de la complexité des affaires humaines peuvent bien brouiller l’évidence des expériences toutes simples du juste et de l’injuste qui sont au fondement de l’affirmation philosophique selon laquelle il existe un droit naturel, mais elles ne peuvent pas les anéantir. L’historicisme ignore superbement ces expériences, ou il les défigure. En outre, la tentative la plus radicale d’établir solidement l’historicisme a atteint son point culminant dans l’affirmation selon laquelle si et lorsqu’il n’y a pas d’êtres humains, il peut peut-être y avoir des entia [étants], mais il ne peut y avoir d’esse [être], selon laquelle en d’autres termes il est fort possible qu’il y ait des entia alors qu’il n’y a pas d’esse. Il existe une liaison évidente entre cette affirmation et le rejet de l’opinion selon laquelle « être » au sens le plus élevé signifie « être toujours ». Par ailleurs, il y a toujours eu un contraste éclatant entre la manière dont l’historicisme comprend la pensée du passé et la compréhension authentique de la pensée du passé ; l’historicisme sous toutes ses formes nie implicitement ou explicitement la possibilité irréfutable de l’objectivité historique. Surtout, lors de la transition de l’historicisme premier (théorique) à l’historicisme radical (« existentialiste »), l’« expérience de l’histoire » n’a jamais été soumise à une analyse critique. On a considéré comme évident qu’il s’agit d’une expérience authentique et non pas d’une interprétation contestable de l’expérience. La question n’a jamais été posée de savoir si ce dont il s’agit réellement dans cette expérience n’est pas susceptible d’une interprétation entièrement différente et peut-être plus satisfaisante. En particulier, l’« expérience de l’histoire » ne rend pas contestable l’opinion selon laquelle les problèmes fondamentaux, tels que le problème de la justice, persistent ou restent identiques dans tout changement historique, quelle que puisse être l’importance de leur éventuel obscurcissement par la négation momentanée de leur pertinence, et quel que puisse être le caractère variable ou provisoire de toutes les solutions humaines de ces problèmes. En saisissant ces problèmes en tant que problèmes, l’esprit humain se libère de ses limitations historiques. Cela suffit pour légitimer la philosophie en son sens originel, en son sens socratique : la philosophie est savoir que l’on ne sait pas ; autrement dit, la philosophie est savoir de ce que l’on ne sait pas, ou conscience des problèmes fondamentaux, et donc, conscience de l’existence d’alternatives fondamentales et aussi anciennes que la pensée humaine en ce qui concerne leur solution.
Si l’existence, et même la possibilité, du droit naturel doit demeurer une question ouverte tant que le débat entre l’historicisme et la philosophie non-historiciste n’est pas résolu, notre plus urgent besoin est de comprendre ce débat. On ne comprend pas ce débat si on le voit simplement à la manière dont il se présente du point de vue de l’historicisme ; il faut également l’examiner à la manière dont il se présente du point de vue de la philosophie non-historiciste. Cela signifie, en pratique, qu’il faut tout d’abord considérer le problème de l’historicisme du point de vue de la philosophie classique, qui est la pensée non-historiciste dans sa forme pure. On ne peut donc satisfaire notre besoin le plus urgent qu’au moyen d’études historiques qui nous mettront en mesure de comprendre la philosophie classique exactement telle qu’elle se comprenait elle-même, et non pas à la manière dont elle se présente lorsqu’on se fonde sur l’historicisme. Nous avons besoin, en premier lieu, d’une compréhension non-historiciste de la philosophie non-historiciste. Mais nous avons un besoin non moins urgent d’une compréhension non-historiciste de l’historicisme, c’est-à-dire, d’une compréhension de la genèse de l’historicisme qui ne considère pas le caractère raisonnable de l’historicisme comme allant de soi.
L’historicisme suppose que le fait que l’homme moderne s’est tourné vers l’histoire implique le pressentiment puis la découverte d’une dimension de la réalité qui avait échappé à la pensée classique, à savoir, la dimension historique. Si l’on accorde cela, on sera forcé à la fin d’adopter un historicisme extrême. Mais si l’on ne peut pas tenir l’historicisme pour évident, la question devient inévitable de savoir si ce qui fut salué au XIXe siècle comme une découverte n’est pas en fait une invention, autrement dit une interprétation arbitraire de phénomènes qui avaient toujours été connus, et qui avaient été interprétés beaucoup plus adéquatement avant l’émergence de « la conscience historique » qu’après. Nous devons poser la question de savoir si ce que l’on appelle la « découverte » de l’histoire n’est pas en fait une solution artificieuse et circonstancielle d’un problème qui ne pouvait apparaître que sur la base de prémisses très contestables.
Je suggère d’envisager les choses de la manière suivante. L’« Histoire » a principalement désigné tout au long des âges l’histoire politique. Conformément à cela, ce que l’on appelle la « découverte » de l’histoire est l’œuvre, non pas de la philosophie en général, mais de la philosophie politique. Ce fut une difficulté propre à la philosophie politique du XVIIIesiècle qui conduisit à l’émergence de l’école historique. La philosophie politique du XVIIIe siècle était une doctrine du droit naturel. Elle consistait en une interprétation particulière du droit naturel, à savoir l’interprétation spécifiquement moderne. L’historicisme est le produit ultime de la crise du droit naturel moderne. La crise du droit naturel moderne ou de la philosophie politique moderne n’a pu devenir une crise de la philosophie en tant que telle que parce que dans les siècles modernes la philosophie en tant que telle s’est entièrement politisée. Originellement, la philosophie était une recherche de l’ordre éternel qui rendait l’homme plus humain, et par suite elle avait été une source pure d’inspirations et d’aspirations soucieuses d’élever l’homme. Depuis le XVIIe siècle, la philosophie est devenue une arme, et par suite un instrument. Ce fut cette politisation de la philosophie qu’un intellectuel qui dénonça la « trahison des clercs »* vit à la racine de nos maux. Il commit cependant l’erreur fatale de négliger la différence essentielle entre les intellectuels et les philosophes. En cela, il demeura dupe de l’illusion qu’il dénonçait. Car la politisation de la philosophie consiste précisément en ce que la différence entre intellectuels et philosophes — une différence connue auparavant comme la différence entre les gentilshommes et les philosophes, et comme la différence entre sophistes-et-rhéteurs et philosophes — a été brouillée et a fini par disparaître.
[1] Voir Platon, République, 456b 12-c 2, 452a 7-8 et c 6-d 1 ; Lachès, 184d 1-185a 3 ; Hobbes, De Cive, II, 1 ; Locke, Deux traités du gouvernement civil, II, § 12, en liaison avec Essai sur l’Entendement humain, I, chap. 3. Comparer avec Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, préface ; Montesquieu, De l’esprit des lois, I, 1-2 ; et également Marsile de Padoue, Défensor Pacis, II, 12.8.
[2] Aristote, Ethique à Nicomaque, 1134b 24-27.
[3] On ne peut identifier purement et simplement le positivisme juridique des XIXe et XXe siècles ni avec le conventionalisme ni avec l’historicisme. Cependant, il semble qu’il tire en dernière instance sa force de la prémisse historiciste généralement acceptée (voir en particulier Karl Bergbohm, Jurisprudenz und Rechtsphilosophie, I [Leipzig, 1892], 409 sqq.). L’argument précis de Bergbohm contre la possibilité du droit naturel (en tant que distincte de l’argument qui vise simplement à montrer les conséquences désastreuses du droit naturel pour l’ordre juridique positif) se fonde sur « la vérité indéniable que rien n’existe d’éternel et d’absolu sinon l’Un que l’homme ne peut comprendre, mais seulement pressentir dans un esprit de foi » (p. 416 n.), c’est-à-dire sur la supposition que « les critères en référence auxquels nous portons un jugement sur la loi historique, positive… sont eux-mêmes absolument les produits de leur temps et sont toujours historiques et relatifs. » (p. 450 n.)
[4] Platon, Minos, 314b 10-315b 2.
[5] « … [les] imperfections [des Etats], s’ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont… » (Descartes, Discours de la méthode, IIe partie).
[6] En ce qui concerne la tension entre le souci de l’histoire du genre humain et le souci de la vie après la mort, voir Kant, Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, proposition 9 (in Kant, La philosophie de l’histoire, Garnier-Flammarion). Voir également la thèse de Herder, dont l’influence sur la pensée historique du XIXe siècle est bien connue, selon laquelle « les cinq actes sont dans cette vie » (cf. Mendelssohn, Gesammelte Schriften, Jubiläums-Ausgabe, III, 1, pp. xxx-xxxii).
* Shakespeare, Macbeth, V, 5.
[7] « Ame », Dictionnaire philosophique, éd. J. Benda, I, 19 (Garnier Flammarion, 1964, p. 32).
[8] Voir la lettre de Lessing à Mendelssohn du 9 janvier 1771.
[9] Pour comprendre ce choix, il faut prendre en compte sa liaison avec la sympathie de Nietzsche pour « Calliclès » d’un côté, et sa préférence pour la « vie tragique » par rapport à la vie théorique de l’autre (voir Platon, Gorgias, 481d et 502b sqq. et Lois, 658d 2-5 ; comparer avec Nietzsche, Considérations inactuelles, II « Des avantages et des inconvénients de l’histoire pour la vie », [Strauss renvoie à la page 73 de l’édition Insel-Bücherei, qui correspond à la section 7 du texte original allemand]. Ce passage révèle clairement le fait que Nietzsche avait adopté ce que l’on peut considérer comme la prémisse fondamentale de l’école historique.
[10] La distinction entre « condition » et « source » correspond à la différence entre l’« histoire » de la philosophie exposée par Aristote dans le premier livre de la Métaphysique et l’histoire historiciste.
* Julien Benda